Courrier des lecteurs

L’outil informatique des médecins…

Publié le 31/08/2018

Dernièrement, je discutais avec un médecin qui souhaitait changer de logiciel-métier, au motif de coût prohibitif, de lenteur effroyable d’ouverture des dossiers-patient et autres bugs gênants en pratique quotidienne. Avec en prime des conditions douteuses pour quitter : prévenir un an avant la date « anniversaire », blocage du logiciel (sauf en lecture) au jour de la résiliation, et coût prohibitif de récupération des données. Ayant eu le même logiciel que lui, je lui ai demandé comment était l’interface : depuis 8 ans, elle n’a pas bougé !

La médecine évolue, et le logiciel médical ne suit pas ! C’est un peu comme si on demandait aux agriculteurs d’aujourd’hui de travailler avec une pelle et une pioche, mais avec obligation d’un superbe outil informatique à destination des services de contrôles, et qu’on les accusait de productivité insuffisante (c’est bien notre cas, puisque dame SS charge la bourrique, et que les médecins n’y arrivent plus !).

Retour sur le passé

Quand je me suis informatisé, dès le début de l’informatisation médicale, mon logiciel était une « daube ». À titre d’exemple, les totaux du mois n’étaient pas justes ! Pratiquement quotidiennement, je me suis plaint auprès de celui qui m’avait vendu ce logiciel. Bien d’accord avec moi, il m’a dit « vous devriez devenir bêta-testeur pour faire corriger tout ce que vous constatez ». Dès le début, je suis donc devenu testeur. Je me souviens de la dernière version que j’ai testée, il fallait sortir une version « sans bug » (une boutade). En une semaine, j’avais trouvé 100 bugs (autre boutade du berger à la bergère)… Imaginez ce qui se serait passé auprès des utilisateurs s’il n’y avait pas eu de testeurs ! Dans les derniers temps, la tension est montée entre les testeurs, et l’éditeur du logiciel : Madame sécu avait mis main basse sur l’outil informatique existant, fait à la demande des médecins pour les médecins, pour en faire un outil pour la SS – la télétransmission - aux frais des médecins. Il était évident que les demandes des utilisateurs auprès des éditeurs étaient passées au second plan, plus exactement, repoussées à La Saint-Glinglin. Les testeurs ont boudé, ont moins testé, et ce qui était prévisible arriva ; avant la catastrophe, le logiciel privé a été vendu peu après à une grosse boîte. Augmentation des prix que chacun a pu constater sans aucune amélioration pour la pratique purement médicale. Le logiciel, initialement celui des médecins, était devenu par kidnapping, celui de dame Sécu. On comprend mieux ainsi la guerre qui en a suivi.

Le présent

On dit que le généraliste doit avoir une vue d’ensemble sur le dossier du patient pour bien gérer son patient. Quand on ouvre un dossier patient, qu’est-ce qu’on voit ? De façon différente selon les logiciels, mais ce n’est qu’une question de goût car c’est toujours pareil (une collection de boîtes à chaussures dans lesquelles on entasse des documents), la vue d’ensemble c’est : le listing des dates des consultations, des dates des examens (sans dire lesquels), des dates des consultations spécialisées, etc. Belle vue d’ensemble, non ? Avec ça, on s’étonne (ou plutôt ricanements de ceux qui tirent les ficelles) que le médecin, qui est pour son malheur habitué à sa « daube », n’arrive pas à obtenir les objectifs qu’il aimerait avoir pour ses patients, car secondé par un outil de gestion, grossièrement informatisé, des dossiers papier du siècle passé ; et en informatique, 18 ans de non-évolution d’une pelle et d’une pioche, c’est une éternité. Il faut dire, l’urgence du politique, dans la partie médicale de l’informatique médicale, ce n’est pas l’outil personnel du médecin pour son patient, dont il se contrefout royalement, c’est le DMP, urgence depuis bientôt 10 ans qu’on en parle, mais sans en voir la couleur sauf par tricherie (financement d’ouverture de dossiers vides), un ersatz de CLOUD, lui aussi basé sur le modèle de la boîte à chaussures qui doit permettre au médecin attentif de contrôler sans trop de perte de temps les dates des quatre dernières HbA1c, ce qui lui permettra de toucher sa ROSP ! Belle vision de la médecine moderne, car effectivement, dans cette optique, une boîte à chaussures, ça suffit ! Que deviennent les données détaillées plus anciennes ? Comme si le passé des patients n’avait aucune importance : en haut lieu, tout le monde s’en fout (et le patient croit que son médecin a tout dans sa tête).

À regarder un logiciel médical actuel, on se demande ce que la puissance de calcul des ordinateurs apporte comme améliorations (autre que la substitution du support des données) au traitement de toutes les données accumulées du patient ! Surtout à l’heure où les patients ont un médecin traitant déclaré, mais qui se décline en autant d’individus qu’il y a de médecins où de remplaçants dans la maison médicale…

Imaginons une autre interface personnalisable, (à l’instar de ce que l’on voit sur les sites marchands) à l’ouverture du dossier-patient. À gauche, le passé, qui permet de visualiser les seuls ATCD significatifs (pour le patient ou pour le médecin) ; au centre, les problèmes en cours sous forme de mots-clefs plus ou moins gros, à gauche, le plan de suivi et la prévention ; avec par exemple en grosses lettres rouges un vaccin à faire rapidement (pour la grippe par exemple poussée de façon automatique selon les recommandations si le médecin le souhaite), en petites lettres orange à faire bientôt… En lettres barrées ce qui est refusé par le patient, etc. Pourquoi afficher ce qui est à jour ? Un clic dans une des trois zones permettant d’avoir le détail plus ou moins poussé… Un clic sur un examen pourrait montrer la courbe totale ou sur une période donnée. Un patient vient pour une lombalgie, une bronchite, etc., un clic sur ce terme permet de retrouver, sous forme de texte ou de courbes, tout ce qui est enfoui au fond des boîtes à chaussures et qui concerne ce terme. On peut imaginer plein d’autres outils utiles que l’on rencontre déjà sur d’autres logiciels, mais pas sur ceux médicaux.

Ah ! J’oubliais, on est en train de tuer les généralistes qui seront bientôt remplacés par les IPA couplées aux robogiciels médicaux de premier recours ayant accès au CLOUD des patients que les généralistes auront consciencieusement remplis, croyant le faire pour leur propre utilisation à eux ; avec transfert de revenus des médecins vers ceux qui auront misé en bourse sur ces robogiciels médicaux ; deuxième kidnapping en vue. Alors pourquoi faire souffrir un peu plus les médecins en leur suggérant un outil informatique qui pourrait être utile à ce qu’on leur fait croire qu’on attend encore d’eux !

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Dr Yves Adenis-Lamarre, Angoulême (Charente)

Source : lequotidiendumedecin.fr