« Dès mon premier jour, j’ai rencontré une visiteuse médicale qui connaissait mon numéro de téléphone et m’a fait la bise. Quelques jours après, c’était un repas au restaurant ! Que faire si le chef de service y va ? On est pris dans un système. »
Ce témoignage édifiant d’un jeune interne bordelais, lors des rencontres de l’indépendance en médecine, a donné le ton. Organisée le 20 octobre à l’Université de Bordeaux, cette journée a débuté par la diffusion de « La fille de Brest », film sur le combat du Dr Irène Frachon dans l’affaire Mediator, avant un débat avec la salle et de multiples témoignages. « J’ai travaillé en Suisse, aux USA, en Scandinavie, explique Édouard Gobitz, expert en marketing pharmaceutique. Là-bas, la transparence existe et repose sur des règles claires. En France, on a tendance à tout cacher sous le tapis. Experts, hôpitaux, agences se comportent parfois comme une petite oligarchie. Et notre culture latine a du mal à se remettre en cause. »
Jeune génération sensible à ces questions
Invitations, proximité, techniques marketing : l'influence des industriels emprunte des chemins divers. « Quand nous recevons de nouveaux produits, seuls les laboratoires viennent en assurer la formation. Et avec des croissants… », a expliqué une urgentiste bordelaise.
Pertinence des prescriptions, rôle de lanceur d'alerte des médecins : plusieurs sujets ont été débattus. « Quand je travaillais avec de grands enfants, les labos venaient me dire que je ne prescrivais pas assez, explique ce pédopsychiatre girondin. De même, lors d’un signalement de pharmacovigilance, je recevais immédiatement la visite du laboratoire. Il y a pourtant un secret médical, non ? »
Dans ce contexte, la question de la formation à l'esprit critique est jugée prioritaire. « Pour les vieux médecins, c’est foutu, regrette ce généraliste désabusé, mais il faut éduquer les jeunes ! » Précisément, la nouvelle génération médicale se montre très sensible à ces sujets, assure le Dr Marco Romero, maître de conférences associé du département de médecine générale de Bordeaux. « L’ANEMF [Association nationale des étudiants en médecine de France] est en pointe sur ces questions », souligne-t-il. « À nous aussi d’être exemplaires, complète le Pr Jean-Philippe Joseph, directeur du département de médecine générale. Indiquer ses liens d’intérêts dès la première diapo du cours, citer les noms de médicaments en DCI. C’est simple et cela peut avoir un impact très fort sur les étudiants. »
Un programme qui marque des points
À Bordeaux, le département de médecine générale a créé dès 2017 le programme FACRIPP (Formation à l’analyse critique de la promotion pharmaceutique), un enseignement de 14 heures proposé aux internes, en option facultative. Au menu : identifier les techniques marketing des laboratoires, les conflits d’intérêts, communiquer avec le visiteur médical, bien connaître les dispositifs réglementaires, analyser les scandales sanitaires… Quelque 200 internes aquitains ont déjà suivi cette formation qui pourrait s’étendre au second cycle, aux pharmaciens, spécialistes ou médecins installés mais aussi essaimer vers d’autres universités déjà intéressées.
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