Médecine de proximité, professionnels de santé de premier recours, protocolisation des soins, nouveaux modes de rémunération (NMR)... Ce sont les nouveaux mots de la médecine libérale. « Il y a une demande importante. On sent que ça bouge, les professionnels de santé ne veulent plus travailler tout seul », souligne le Dr Pierre De Haas, président de la fédération française des maisons et pôle de santé. L’opportunité des nouveaux modes de rémunérations où « l’assurance-maladie est prête à payer pour voir » et le soutien régional aux projets (notamment ceux dont on peut couper le ruban rouge le jour de l’inauguration !) participent de ce nouvel engouement. Le président Sarkozy n’a-t-il pas dit en février dernier qu’il voulait 250 nouvelles maisons de santé d’ici à 2013 ?
Bagages informatiques hétéroclites
Dans ce contexte favorable, l’informatisation est perçue comme la condition nécessaire au partage des données et à leur exploitation. En se regroupant, médecins et paramédicaux apportent bien souvent dans leur bagage, leur logiciel informatique. Ce qui fait dans un premier temps une informatisation hétéroclite plus ou moins satisfaisante.
À la MSP de Saint-Amand-en-Pusaye (Nièvre) ouverte en 2005, les trois médecins généralistes et leurs deux secrétaires ont tous Medistory sur Mac y compris la télétransmission avec Express Vitale. Pour les visites à domicile, ils emportent un ordinateur portable en synchronisant les dossiers. Le fichier patient est centralisé sur l’un des postes qui sert de serveur. Les paramédicaux (un pédicure, une orthophoniste, une diététicienne, une kinésithérapeute, trois infirmières) sont arrivés avec leur propre équipement et certains comme le psychologue, ne sont pas du tout informatisés. « Quand ils ont besoin d’une information, ils viennent nous voir ou demandent à la secrétaire de leur laisser accéder à une partie du dossier : généralement les allergies ou pour la diététicienne, l’IMC et la dernière analyse biologique. Nous n’avons pas encore optimisé les possibilités et faisons encore beaucoup de ressaisie lorsque l’infirmière nous remet une fiche papier. À terme, il faudrait avoir un fichier commun, analyse le Dr Michel Serin, promoteur du projet, il faut que les éditeurs travaillent sur cette problématique ». Le médecin rêve déjà d’un Medistory allégé sur iPad avec une web caméra qui permettrait à l’infirmière de demander conseil au médecin depuis le domicile du malade. (voir page 20/21). « Mais la 3G passe mal dans notre zone… »
Accès des infirmières aux dossiers, c’est aussi ce qui est pratiqué (mais pas recommandé jusqu’ici par le Conseil de l’Ordre) à la maison médicale des Cèdres de la Clayette (Saône-et-Loire) au projet de laquelle l’ancien secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins, le Dr André Chassort travaille depuis 2002. Les infirmières peuvent consulter les dossiers sur le poste de la secrétaire et en sa présence. Les médecins qui utilisent Axisanté 5, en partagent le fichier patient installé sur un serveur. Ils ont délégué aux infirmières le contrôle de la tension que le patient prend tout seul dans un poste spécifique et la gestion des INR pour les patients sous anticoagulants selon un protocole établi par le médecin avec l’infirmière. « Ce qui nous manque le plus, c’est la communication avec l’hôpital local au sein duquel se trouve la maison de santé : il faut ressaisir tout ce qui concerne nos patients en EPHAD, une trentaine pour ce qui me concerne. D’une façon générale dès qu’un patient part à l’hôpital pour une intervention ou un accident nous n’avons pas de nouvelles », déplore le Dr Chassort qui ajoute : « c’est d’ailleurs pour cette raison que j’achète le journal local, pour savoir si mes patients ne sont pas morts, en consultant la rubrique nécrologique ! »
Une base de données en ligne
La MSP de Steenvoorde a sauté le pas de la base de données commune, il y a quelques mois. « Nous avons une vieille habitude de médecine de groupe depuis 1975. Les locaux ont été modernisés en 2001, et en 2008, situés dans une zone sous médicalisée, nous nous sommes inscrits dans la proposition d’expérimenter les nouveaux modes de rémunération. Nous sommes formés en association pour l’amélioration des soins », explique le Dr Laurent Verniest. Après l’attribution en 2009 d’un budget pour moderniser l’informatique, les médecins ont abandonné Mégabaze, les infirmières Agathe, le kiné, Kiné 2000. Ils se sont laissés séduire par la proposition de l’éditeur ICT avec un partage des informations en ligne et des droits d’accès. « Toutes les données de Mégabaze ont été récupérées mais nous avions tous des habitudes de saisie différentes. ICT a pris en référence la base de données d’un médecin qui travaillait bien. Aujourd’hui, nous partageons nos méthodes de travail et nous avons davantage codifié nos saisies. On se réunit deux fois par semaine entre 30 minutes et une heure sur la thématique« vie du centre » où l’on aborde notamment les problèmes informatiques.. Nous avons établi un protocole de vaccination, le patient se rend au choix chez le médecin ou l’infirmière (elles sont équipées depuis cet été) et avons rédigé des fiches partageables sur les pathologies chroniques. » Une dizaine de Mac ont été installés dont un à l’accueil où une hôtesse tient le standard et l’agenda partagé.
À Malestroit, en Bretagne, le Dr Philippe Despierre œuvre depuis deux ans à la mise en place d’un pôle de santé pluridisciplinaire sur le territoire de la communauté de communes : 20 000 personnes et une douzaine de médecins installés. Son cabinet de deux médecins travaille avec un 3e médecin installé à 10 km et avec deux autres éloignés de 10 km. Ces cinq médecins se sont regroupés en migrant sur le logiciel Chorus d’ICT. Les infirmières sont intéressées et la clinique de Malestroit cherche à s’interfacer. « Si je prends ma garde, explique-t-il, je peux accéder aux dossiers des patients qui se présentent et je peux laisser des post-it à l’intention du confrère. » Les patients ont été prévenus de ce partage de dossier qui concerne les infos utiles mais pas les observations. Mais c’est encore de l’expérimentation. « Nous pratiquons le partage d’information sans avoir à attendre la montée en charge de la plate-forme télé santé Bretagne. Les rendez-vous sont déjà gérés en commun et nous pouvons transférer des documents à une secrétaire distante qui est ainsi mutualisée. On a posé la question aux infirmières sur leurs besoins. Par exemple, pour la gestion des anticoagulants, ce qui leur est utile c’est l’historique des prescriptions et les antécédents. Demain nous pourrons faire de la santé publique en commun. »
Établir un cahier de charges
À Vic-Fezensac, la MSP est encore à l’état de projet porté par le Dr Noël Wuithier, à la tête de la Fédération régionale des MSP de Midi-Pyrénées. « On espère ouvrir en 2012. Nous sommes 21 PS sur un bassin de 9 000 habitants. Pour le moment nous travaillons à six médecins en réseau sous Almapro. Les infirmières ne sont informatisées que pour la télétransmission. Nous avons donc établi un cahier des charges en collaboration avec le Dr Pierre De Haas, président de la fédération nationale. » (voir encadré).
Le Dr De Haas rappelle que la réglementation doit évoluer pour clarifier le partage interprofessionnel (non prévu par le secret médical en libéral) et que les usagers doivent être informés. Le cahier des charges sur les nouveaux modes de rémunération a été défini par la DSS (direction de la sécurité sociale) et retravaillé par la HAS. Leurs représentants seront présents au colloque que la Fédération co-organise ce 30 septembre avec ICT sur le thème « Quels systèmes d’information pour les professionnels de premier recours en maison et pôle de santé ? »
À Pont d’Ain, le Dr De Haas et ses confrères travaillent avec le logiciel Chorus d’ICT, les infirmières sont sous Equinoxe et les kinés sous Kiné+4000 de RMI. Les médecins apprécient particulièrement le fait de ne plus avoir de sauvegarde à faire.
Du côté des éditeurs
Le Dr Jean-Yves Robin est le premier à le souligner : les acteurs traditionnels du logiciel sont tous capables d’adapter leurs logiciels à la nouvelle donne des MSP. Surtout s’ils ont déjà l’expérience des auxiliaires médicaux. Ce qui diffère principalement, ce sont les outils de comptabilité (à la facturation à l’acte s’ajoutent en effet un financement structurel et les NMR) et l’utilisation d’indicateurs qui serviront au suivi des statistiques. En bref, l’existant devrait suffire du moment qu’il propose, en fonction de l’implantation, un réseau local, mieux avec accès distant, voire une solution hébergée (en ligne).
Marilyne Minault dont la gamme Hellodoc équipe déjà des centres de santé pluridisciplinaires avec de gros serveurs et des maisons médicales de garde, ne doute pas de son adaptabilité. Hellodoc est déjà utilisé par des infirmières, des kinés, etc. La responsable d’Imagine Éditions défend le concept du travail en local, avec des possibilités de connexion à l’instar de ce qui se pratique avec les DMP régionaux.
Sollicité régulièrement pour des projets impliquant ses utilisateurs, Axilog est en train de faire évoluer Axisanté 5 vers une version « MSP » attendue pour la fin de l’année. Le module de statistiques a été renforcé, la traçabilité, complétée de l’« historisation » des événements et l’agrément d’Axiam pour la télétransmission par les auxiliaires est en cours. L’éditeur offre déjà des accès à distance avec l’hébergement des données sur le Réseau santé social qui fait partie du même groupe (CompuGroup Medical France).
Thierry Kauffmann juge qu’il n’y aurait pas grand-chose à changer à Medistory qui, en réseau local, sait gérer les droits et la traçabilité très finement. «Ce n’est pas très différent d’un cabinet de groupe ». Il existe une version Premium de Medistory qui serait suffisante pour les paramédicaux devant se connecter à certains éléments du dossier. L’accès à distance sécurisé est également géré. L’éditeur attend le cahier des charges pour savoir comment sera organisé le partage des informations entre PS.
Chez Cegedim Logiciels Médicaux, les premières remontées du terrain révèlent un souhait de conserver les logiciels utilisés en associant des fonctions de groupe : base de données communes, possibilité d’évaluer l’efficacité de la coordination, gestion financière avec comptabilité analytique. Agréé HDS (hébergeur de donnés de santé), CLM peut proposer des solutions multi-spécialités adaptées à toutes les professions de santé locales ou hébergées (l’offre hébergée est en cours d’homologation). L’expérience de l’éditeur sur le DMP l’a conduit à se conformer aux normes et standards du marché. Ce qui offre des garanties d’ouverture et de pérennité.
Pendant que les éditeurs se préparent, la petite société ICT, qui vient de doubler sa taille et compte aujourd’hui 20 personnes, a déjà gagné plusieurs appel d’offres sur le terrain. « Les promoteurs de ces projets savent ce qu’ils veulent car la plupart du temps, ils travaillaient déjà ensemble. Ils se regroupent avec des logiciels hétérogènes, veulent partager les informations et nos solutions en ligne les séduisent. Mais elles manquaient au départ de fonctionnalités pour les auxiliaires. Les nouveaux modes de rémunération obligent aussi les PS à choisir des indicateurs qui doivent rentrer dans la procédure de codage. À part quelques nouveautés à introduire, il n’y a pas eu de difficultés particulières, explique Véronique Tourlonias, ce qui manque le plus, c’est l’accompagnement juridique et les moyens financiers. Le processus de mise en place s’apparente à ce que l’on retrouve dans les grosses structures, avec beaucoup de réflexion en amont, alors que le budget se rapproche de celui de l’informatique individuelle. » Autant dire qu’ICT essuie les plâtres.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature