L'offre de soins face aux lubies des élus locaux

Maisons de santé recherchent médecins

Par
Publié le 13/02/2017
Article réservé aux abonnés
MAISON SANTÉ

MAISON SANTÉ
Crédit photo : DR

Cinq bureaux de médecins, trois bureaux de kinés, trois bureaux d’infirmiers et un bureau de podologue. Le chantier de la future maison de santé de Bellême (Orne, 1 598 habitants), au rez-de-chaussée d’un ancien EHPAD, est pris en charge par la communauté de communes : 426 650 euros, avec une subvention du conseil départemental (50 000 euros). 

Las, l’ouverture, programmée pour mars 2018, se fera sans doute sans médecins ni kinés ! « Cette maison médicale n’a pas de sens, juge le Dr Do Anh-Tai, l’un des trois généralistes bellémois, installé depuis 30 ans dans la cité percheronne. Alors que je prendrai ma retraite dans quelques années, je n’ai aucune raison d’intégrer une telle structure. J’ai bien sûr fini de payer mon installation, en face de mon domicile, et elle sera certainement invendable. Mes confrères sont dans la même situation. »

Des jeunes médecins pourraient-ils se laisser tenter ? « Depuis des années, j’essaye de les convaincre, poursuit le Dr Do Anh-Tai. Mais on se heurte à la situation économique locale, qui n’offre pas de débouché au conjoint, ou à la conjointe des médecins. La féminisation de la profession aggrave le tableau : sans situation ici, les maris ne peuvent pas suivre leurs épouses médecins. » Même analyse chez les trois kinés qui ne s’installeront pas non plus dans la maison de santé.

« De belles cages sans oiseaux »

« Avec les élus, nous avons monté une proposition démographiquement et économiquement adaptée, avec un loyer mensuel de 13 euros/ m²  », se défend le président de la communauté de communes Vincent SégouinSelon cet agent d’assurances remonté contre les libéraux, « les médecins voudraient faire supporter leurs frais généraux par la collectivité, ils n’ont pas forcément le courage d’investir comme le font les vétérinaires, avec des cliniques aux budgets pourtant plus conséquents. Il nous reste l’espoir d’attirer des médecins franciliens qui apprécient le pays et viennent déjà passer le week-end dans leurs fermettes. »

Certains praticiens se montrent sévères avec les constructions anarchiques de MSP. « De tels projets sont scandaleux car ils engagent des fonds publics en pure perte, s’indigne le Dr Alain Husson, généraliste aux Aspres. C’est une manière pour les élus de s’exonérer avec l’argent de nos impôts de leur responsabilité dans la désertification médicale. » « Ces belles cages à oiseaux sans oiseaux, c’est de l’abus de bien public », renchérit le Dr R. P., autre praticien installé dans le Perche. 

Les volontaires ne se bousculent pas

Le cas bellémois est extrême. D’autres projets sont montés sans l’adhésion de tous les professionnels de santé, mais avec davantage de viabilité.

À Mamers (5 400 habitants), dans le département voisin de la Sarthe, la maison de santé pluridisciplinaire en construction abritera sur 900 m², avec un investissement de 1,78 million d’euros (hors équipement), quatre cabinets de généralistes et un cabinet de spécialiste. Là encore, les volontaires ne se pressent pas… Le Dr Philippe Hugel n’est pas « intégrant », préférant garder son indépendance. Le Dr Laurence Chevreul va prendre sa retraite. Deux autres praticiens ont certes participé au projet territorial de santé qui a associé l’ARS, le conseil départemental et la communauté de communes, comme le souligne Frédéric Beauchef, le maire de Mamers. Cet édile vante « un bel outil attractif, fruit de la concertation de l’ensemble des acteurs, avec une aide économique importante. » Mais aucun engagement écrit n’a encore été signé. Même si des accords étaient conclus, la structure restera sous-occupée…

Pas la panacée médicale

Non loin, à Rémalard (1 212 habitants), après plusieurs projets abandonnés, une nouvelle étude de faisabilité est en cours depuis trois ans, indique le maire Patrick Rodhain. Ici aussi, les élus poussent à l’investissement public, en insistant sur l’implication des professionnels de santé. Lesquels ne se montrent guère emballés… « Je participe à des discussions de phase 2, confie sobrement l’un d’eux, qui souhaite rester anonyme. Mais pour l’instant, sans exclure d’intégrer le projet, je n’y vois pas la panacée médicale. » Le Dr Véronica Rico, quant à elle, a déjà dit non. Et les deux autres généralistes sollicités préfèrent ne pas s’exprimer. Ambiance.

Dans tous les cas, « rien ne peut jamais s’entreprendre sans l’initiative des médecins », rappelle le Dr Jean-Michel Gal, président de l’Ordre dans l’Orne. Il est lui-même à l’origine du pôle de santé libéral et ambulatoire ouvert à Mortagne-au-Perche (3 994 habitants) en 2015, avec un budget de 2,4 millions d’euros, financé à 50 % par des subventions. Les 64 professionnels (dont 7 généralistes !) qui y travaillent se répartissent un loyer hors charges sur la base de 10 euros/m², pour rembourser la communauté de communes. 

« Construire des murs sans médecin, c’est de l’escroquerie de fonds publics », tranche le praticien qui décline les trois étapes préalables à toute création : « un diagnostic territorial établi conjointement avec tous les acteurs, la mise en place d’un guichet unique de financement et l’organisation d’un accompagnement d’ingénierie. Et les médecins doivent s’engager sans tout attendre de là-haut. »

À ce jour, 34 pôles de santé fonctionnent en Basse Normandie, dont cinq dans le département de l’Orne. « Quand les médecins sont impliqués, assure le président de l’Ordre, ces chantiers sont le remède à la désertification ». Une raison d'espérer. 

De notre correspondant Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du médecin: 9555