D E l'épidémiologie à la biologie moléculaire, la notion de prion pose des problèmes du haut en bas de la pyramide. Si l'on peut parler de notion, c'est que la propriété du prion qui trouble tant la biologie, la transmissibilité d'un phénotype via une simple protéine, semble se retrouver des mammifères à la levure et ne concernerait par ailleurs pas que la protéine Prp, en cause dans les pathologies bovine et humaine. Cet éventail large permet au moins de recourir à des modèles diversifiés pour explorer des mécanismes de base, probablement communs à tous les « phénomènes prions ».
Chez la levure, on connaît ainsi une protéine, dite Sup35, impliquée dans la terminaison de la traduction des ARNm, et qui répond à la définition fonctionnelle du prion. A priori, cette protéine n'a rien à voir avec la Prp des mammifères. Pourtant, son comportement est bien celui que l'on attend d'une protéine prion, puisqu'elle est capable de transmettre un phénotype d'un individu à un autre, en l'occurrence d'une cellule à une autre. Ce phénotype, dit PSI+, correspond à la polymérisation des protéines Sup35, qui deviennent indisponibles pour la fonction de terminaison de la traduction. Or, ce phénotype est transmis à une levure par la protéine Sup35 d'une levure TSI+. Comme chez les animaux supérieurs, il existe en outre une barrière d'espèce, puisqu'une protéine Sup35 provenant d'une S. cerevisiae TSI+, ne transformera pas une C. albicans, et vice versa.
Une protéine prion Sup35 chimère
Les Américains ont donc eu recours à ce modèle pour explorer le déterminisme du phénotype PSI+, ainsi que la question de la barrière d'espèce. Ils ont utilisé une protéine prion Sup35 chimère, comportant un domaine Sup35 (1-39) de S. cerevisiae, et un second domaine Sup35 (40-140) emprunté à C. albicans.
In vitro, la chimère s'est révélée capable de prendre la conformation spécifique de l'une ou l'autre espèce. Lors de la polymérisation, se forment des fibres, spécifiques de C. albicans ou S. cerevisiae, qui peuvent être distinguées au microscope électronique. Par ailleurs, cette polymérisation est fortement accélérée par un « ensemencement » de la solution avec des fibres de C. albicans ou S. cerevisiae. Les monomères chimères en solution, donc, se sont révélés capables de polymériser conformément à l'ensemencement, soit dans la conformation S. cerevisiae, soit dans la conformation C. albicans.
Dans un second temps, l'expérience a été renouvelée, avec cette fois des monomères prions de S. cerevisiae, ensemencés avec la fibre chimère sous l'une ou l'autre de ses conformations possibles. Avec l'inducteur en conformation S. cerevisiae, les monomères Sup35 de S. cerevisiae polymérisent ; avec l'inducteur en conformation C. albicans, ces mêmes monomères ne polymérisent pas. L'expérience réciproque, menée avec des monomères de C. albicans, aboutit à des résultats exactement symétriques.
La séquence chimère capable de plusieurs conformations
Ce que montre la première expérience est que l'information transmise est bien de nature conformationnelle, la séquence chimère étant capable de plusieurs conformations, et adoptant celle qui lui est « proposée » par l'ensemencement. Ce que montrent les deux expériences suivantes est qu'il existe aussi une sorte de limite de flexibilité, imposée par la séquence. Seule la séquence chimère peut prendre les deux conformations. La séquence spécifique, elle, provenant de S. cerevisiae, par exemple, ne peut adopter que sa conformation spécifique, l'inducteur en conformation C. albicans restant sans effet, alors même que s'agissant d'une chimère, il présente pour partie une séquence S. cerevisiae. Au total, donc, ce qui apparaît important, c'est la conformation du prion incident et la séquence du prion récepteur.
Les résultats in vitro ont été confirmés in vivo, dans des levures de l'une ou l'autre espèce exprimant le gène chimère, parallèlement à leur propre Sup35 spécifique : les monomères chimères ont polymérisé conformément à la conformation spécifique de l'hôte, c'est-à-dire conformément à « l'ensemencement » par la Sup35 de l'espèce. Ces résultats coïncident en outre parfaitement avec les suppositions du modèle de Prusiner. Premièrement, une même protéine peut adopter plusieurs conformations stables. Deuxièmement, ces conformations d'une protéine prion sont transmissibles à une autre protéine prion, y compris si les séquences des deux protéines sont différentes (cas de la chimère ensemencée par l'une ou l'autre protéine pure). Troisièmement, il existe une limitation de cette transmission, liée à la séquence réceptrice (cas de la protéine pure ensemencée par la chimère).
Une limite de flexibilité
Cette limitation pourrait correspondre à la barrière d'espèce. A priori, une séquence ne pourra pas prendre n'importe quelle conformation : il y a une limite de flexibilité. Toutefois, puisqu'à l'intérieur de cette limite une même protéine peut prendre différentes conformations, on peut imaginer que l'une d'entre elles corresponde à une conformation possible pour la séquence d'une autre espèce. Idéalement, pour bien comprendre la barrière d'espèce, il faudrait pouvoir attribuer à une séquence donnée un registre conformationnel. On sait qu'on en est loin, la prédiction des structure à partir des séquences étant très aléatoire - sinon, voilà longtemps que la pesante cristallographie aux rayons X aurait disparu du paysage. En attendant de pouvoir prédire le recoupement des deux registres conformationnels, et par conséquent l'abolition de la barrière d'espèce, il reste le constat. Une Prp de vache a, un jour, adopté, parmi toutes ses conformations possibles, une conformation accessible à la Prp humaine. Pour ce qui est, ensuite, de la sélection et de l'amplification au sein du cheptel, on peut tout à fait concevoir que les itérations alimentaires trop longtemps en vigueur, les vaches mangeant des vaches ayant mangé de la vache, ont fait le travail.
P. Chien et J.-S. Weissman, « Nature », vol. 410, 8 mars 2001.
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