C 'EST un nouvel obstacle sur la route des organisations non gouvernementales (ONG) qui se battent pour que les pays du Sud disposent de thérapeutiques efficaces contre le virus du SIDA.
Les Etats-Unis viennent en effet de déposer une plainte relative à la loi brésilienne sur les brevets, auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils réclament, selon Médecins sans Frontières (MSF), « des mesures qui vont handicaper le programme de lutte contre le SIDA mis en place par le Brésil ». Les Etats-Unis, auxquels MSF demande de retirer leur plainte, s'opposent tout simplement à ce que le Brésil mette en place des licences obligatoires.
Comme d'autres nations - les plus couramment citées étant la Thaïlande et l'Inde -, le Brésil a recours au procédé de la licence obligatoire qui permet à un pays, lorsqu'une raison d'intérêt général l'exige (en particulier la santé publique), d'autoriser la fabrication locale d'un médicament encore protégé par un brevet. Cette licence est accordée sans le consentement du titulaire du brevet. Il s'agit d'une clause légale, instituée par un accord signé sur les ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) en 1994 à Marrakech. Elle permet donc au Brésil de fabriquer lui-même ses génériques, à un coût qui lui est accessible. Comme tous les pays en développement, il ne peut faire face aux prix pratiqués par les laboratoires.
Selon l'ONUSIDA, le coût annuel, au Brésil, d'un traitement par analogues des nucléosides a diminué de 80 % en moyenne entre 1996 et 2000, passant de 3 812 dollars à 763 dollars. Le coût d'une thrithérapie avec deux nucléosidiques et un inhibiteur des protéases a diminué de 36 % et celui d'une thrithérapie avec deux nucléosidiques et un non-nucléosidique a chuté de 34 %. Selon MSF, le gouvernement brésilien « offre actuellement des médicaments antirétroviraux à plus de 90 000 personnes. Ce qui a permis de réduire de 50 % le taux de mortalité dû à cette maladie. Ce programme a considérablement amélioré la qualité de vie des personnes atteintes par le VIH et a permis au gouvernement d'économiser, entre 1997 et 1999, l'équivalent de 422 millions de dollars d'hospitalisation et de soins médicaux ».
La politique du Brésil
L'OMC, qui a un rôle d'arbitrage, ne devrait pas trancher avant plusieurs mois. Néanmoins, MSF s'inquiète des conséquences de la plainte des Etats-Unis. « La vie de centaines de milliers de malades dépend de ce système, souligne Bernard Pécoul, directeur de la campagne pour l'accès aux médicaments essentiels de MSF. L'action des Etats-Unis représente une réelle intimidation pour des pays qui voudraient, à l'instar du Brésil, produire des médicaments antirétroviraux ». Bernard Pécoul souligne qu'en effet « le Brésil est prêt à aider plusieurs pays en voie de développement pour qu'ils puissent produire, à une échelle nationale ou régionale, des antirétroviraux ». Il craint par ailleurs que la démarche des Etats-Unis ne nuise à la « force politique de négociation » très nouvellement acquise par les pays du Sud. Le procédé des licences obligatoires et celui des importations parallèles a en effet donné aux pays une perspective nouvelle : celle de pouvoir faire jouer la concurrence au niveau des prix.
L'arrivée de Bush
MSF constate que la plainte déposée par le gouvernement américain coïncide avec l'arrivée à la Maison-Blanche de George W. Bush. « Ce n'est sans doute pas le fruit du hasard », commente-t-on au sein de l'association humanitaire. Il est vrai qu'en décembre 1999 à Seattle, lors d'un sommet de l'OMC, Bill Clinton avait ouvert aux pays du Sud une perspective nouvelle en affirmant que « face à une épidémie de SIDA ou à d'autres situations médicales graves, les Etats-Unis appliqueront leurs politiques commerciales et de santé de manière que les populations des pays pauvres puissent se procurer les médicaments dont ils ont désespérément besoin ».
Par ailleurs, MSF s'étonne qu'il n'y ait « pas eu de réaction de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) », et rappelé que l'ONUSIDA et cinq laboratoires pharmaceutiques (1) se sont engagés, en mai dernier, à accélérer et à améliorer la distribution des soins et des traitements anti-VIH dans les pays en développement. « Depuis l'annonce de cet accord, 900 patients en tout et pour tout ont été pris en charge, au Sénégal », déplore MSF.
L'engagement des laboratoires
De leur côté, les laboratoires font justement valoir qu'un accord avec le gouvernement du Sénégal est intervenu, permettant aux pouvoirs publics sénégalais d'offrir aux femmes enceintes et aux mères contaminées par le SIDA des médicaments antirétroviraux pour empêcher la transmission aux nouveau-nés. Les laboratoires ont ainsi concédé de fortes baisses de prix des produits antirétroviraux, dont la névirapine, qui réduit les risques de transmission. Le Sénégal est ainsi le premier pays à bénéficier de la réduction de l'ordre de 85 % du prix d'achat sortie usine. « D'autres accords de ce type sont en cours », affirme-t-on chez Roche, Boehringer-Ingelheim et GlaxoWellcome, qui rappelle s'être engagé, dès le mois de mai 2000, à céder son Combivir à un prix avoisinant les deux dollars par jour (contre 16,5 dollars aux Etats-Unis).
(1)Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, GlaxoWellcome, Merck-Co Inc et Hoffmann-La Roche.
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