20 ans après le massacre de Srebrenica

MSF rend publics ses dilemmes et s’interroge sur la protection des populations

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Publié le 20/07/2015
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Le mémorial de Potocari, créé en mémoire des victimes

Le mémorial de Potocari, créé en mémoire des victimes
Crédit photo : AFP

Après le démantèlement de l’ex-Yougoslavie en 1991 et la prise de contrôle de la Bosnie orientale par les forces serbes de Bosnie, Srebrenica devient une enclave assiégée et surpeuplée, où se réfugient les musulmans traqués de la région. Dans le sillage du général Morillon, commandant des Forces de paix des Nations unies (FORPRONU), MSF parvient en mars 1993 à entrer dans l’enclave que l’ONU classe « zone de sécurité ». Accueillis comme le gage d’une protection contre l’exacerbation de la violence, ses volontaires y travailleront jusqu’à la chute de l’enclave, le 6 juillet 1995, ensanglantée par le massacre de 8 000 hommes de plus de 16 ans.

Tout au long de leur action, les membres de MSF dénoncent l’habillage humanitaire du renoncement politique en Bosnie et s’interrogent. Soigner les Bosniaques musulmans, n’est-ce pas faire le jeu des Serbes en leur évitant un scandale humanitaire ? Demander l’évacuation de la population n’équivaut-il pas à cautionner la politique d’épuration ethnique ? MSF n’a-t-elle pas donné aux populations la fausse impression d’être une garantie de protection fiable, alors que les ressources en hommes et en matériel de la communauté internationale faisaient défaut ?

Toutes ces questions sont soulevées dans l’étude de cas « MSF et Srebrenica 1993-2003 », à travers les prises de parole d’alors, jusqu’à la mission d’information du parlement français, assortis de commentaires plus récents des protagonistes. « Nous avons décidé de rendre publics ces outils conçus à l’origine pour acculturer nos volontaires à la prise de parole, par souci de transparence. On peut y lire les tâtonnements et controverses internes, autour d’un seul objectif : trouver le meilleur moyen de porter secours », explique Laurence Binet, responsable de la collection d’études de cas sur les prises de parole publiques de MSF.

Lucidité

De ce drame de l’histoire, une leçon au moins a été indéniablement tirée : « MSF est, depuis, très réticente face à des situations où les populations sont prises dans une enclave ou un corridor avec la promesse d’une protection des forces internationales. On privilégie le droit de fuir ou de passer une frontière », dit Laurence Binet.

Rony Brauman, président de MSF France de 1982 à 1994, ne remet pas en cause la légitimité de la présence des humanitaires à Srebrenica, bombe sanitaire. « Je suis allé à Srebrenica pendant le siège. Notre travail était apprécié par la population, confrontée à de vrais problèmes de santé publique » se souvient-il.

Il émet en revanche des réserves sur « notre silence, non complice mais naïf, vis-à-vis de la menace qui pesait sur Srebrenica ». « On n’a jamais dit aux déplacés et aux réfugiés qu’ils ne devaient pas avoir confiance dans tout le décor établi, auquel on participait avec le bataillon de la FORPRONU. On aurait dû contribuer à cette méfiance vis-à-vis de la protection des Nations Unis qui était alors symbolique, en carton-pâte ».

Aujourd’hui, il prône la prudence et la lucidité : « Quand on parle de forces de protection ou de zone de sécurité, ces termes sont à prendre avec beaucoup de recul. La situation peut basculer à tout instant. Les Nations Unies ont aussi tiré les leçons et sont plus conscientes de leur fragilité dans ce genre de circonstances », explique Rony Brauman.

Le film de l’humanitaire

L’étude de cas, en suivant un fil chronologique, renseigne aussi sur la dynamique de la décision en situation. Elle montre que l’humanitaire ne doit pas être vue comme une photo, mais comme un film, où l’éthique peut être mise à mal à certains instants, où l’ONG peut prendre temporairement le rôle de médecin-geolier, où les chantages et bras de fer sont monnaie courante. Les membres de MSF ont toujours su qu’ils rendaient des services aux Serbes. « On ne peut pas imaginer qu’un pouvoir en place ne puisse retirer aucun intérêt (symbolique, matériel, politique) à notre présence. Il faut l’accepter, pour n’être pas condamné à l’amertume, sans se résigner à n’être qu’une marionnette », commente Rony Brauman.

Selon lui, seule une stratégie de compromis permet aux ONG d’agir. « Il faut trouver des compromis acceptables, en pensant que c’est un marche-pied qui va conduire à l’élargissement de l’aide. On commence à un endroit, où l’utilité se fait dans l’injustice, pour parvenir à protéger une population plus justement, et davantage que le pouvoir », analyse-t-il. « C’est toujours la même poignée de dilemmes qui se cuisinent différemment, au cas par cas » conclut Laurence Binet.

Étude disponible sur le site : http://speakingout.msf.org/fr/srebrenica
Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9428