Municipales 2001
De notre envoyé spécial
L E Dr André Rossinot a beaucoup de chance : son bureau de maire à l'hôtel de ville de Nancy, qu'il occupe depuis dix-huit ans, offre une vue d'exception sur la place Stanislas, la fierté de tous les Nancéiens. Mais si la vue reste imprenable, le fauteuil du maire actuel, lui, est en grand danger.
Depuis quelques semaines, à la lecture des sondages, le Dr Rossinot, spécialiste ORL de formation, maire (UDF) depuis 1983, autrement dit depuis toujours pour la jeune génération de Nancéiens, a conscience qu'il peut perdre la ville, une municipalité que la droite a toujours dirigée et qui a voté à 57 % pour Jacques Chirac en 1995. « Monsieur le maire » apprécie le risque à sa manière, c'est-à-dire avec tact et mesure. « C'est vrai, les choses sont ouvertes. » Conscient d'avoir le vent en poupe, son adversaire qui conduit la liste de gauche plurielle, le socialiste Jean-Yves Le Déaut, enfonce le clou. « Rossinot est conseiller municipal depuis trente et un ans, maire depuis dix-huit ans. Les Nancéiens veulent du changement. J'ai avec moi les forces vives de la ville, les cadres, les classes moyennes, les jeunes, les universitaires », s'enflamme ce biochimiste de formation, avant de se tempérer un peu : « Je suis favori, mais ce n'est pas gagné. »
Les dommages collatéraux du plan Juppé
L'issue de la bataille que livre le Dr Rossinot est d'autant plus incertaine qu'une troisième liste emmenée par la candidate sans étiquette Françoise Hervé risque (si elle va jusqu'au bout) de capitaliser de nombreuses voix de la bourgeoisie nancéienne. Cette inspectrice générale des sites, philosophe et historienne de l'art, avait réalisé 28 % des voix en 1995 au second tour. En cas de triangulaire, dispersion des voix oblige, les chances d'André Rossinot de conserver la mairie seraient infimes. « La vraie nouveauté, c'est que les Nancéiens ont intégré que la gauche pouvait gagner. Pour la première fois, l'alternance est crédible », observe un journaliste local. Depuis 1997, en fait, lorsque André Rossinot fut battu ici aux législatives provoquées par la dissolution, chacun sait que le bon Dr Rossinot n'est plus invincible dans « sa » ville. L'intéressé revient sur cet « échec » qui fut alors une grosse claque : « En 1997, après le plan Juppé, il y a eu un vote sanction qui a touché l'ensemble de la droite. Nous étions "Wanted !" . On ne pouvait pas lutter. »
« Le perdreau de l'année »
Cette fois, le maire sortant est loin d'avoir déposé les armes et se dit « déterminé ». Il a constitué une liste rajeunie (41 ans de moyenne), renouvelée aux deux tiers et qui intègre 22 personnalités de la société civile, dont un dentiste, un médecin rhumatologue, un radiologue et une généraliste. Et dans un tout autre registre, un footballeur du club local, l'AS-Nancy Lorraine. Une équipe de campagne derrière laquelle André Rossinot s'abrite volontiers. « Moi, je n'ai plus rien à prouver en termes de carrière politique. Ma responsabilité est de préparer les dirigeants de demain pour Nancy. Je veux jouer un rôle de coach », explique-t-il.
Un de ses adversaires ironise : « Rossinot se met tellement en retrait qu'on a du mal à trouver son nom sur les tracts. » Fin tacticien, le maire en place a également su « ouvrir » son camp à d'éventuels opposants. Au dissident RPR François Werner, d'abord, qui avait décidé de conduire une liste alternative à droite avant de se rallier et, encore plus fort, à l'ancien chef de file socialiste aux élections municipales de 1995 qui se retrouve sur la liste Rossinot. « J'ai fait l'union et j'ai ouvert », résume le maire de Nancy. Et si on ose évoquer l'usure inévitable dont souffre sa candidature, il rétorque, goguenard : « Vous savez, Le Déaut, ce n'est pas vraiment le perdreau de l'année non plus. »
Si le Dr Rossinot n'a pas encore fait connaître son programme officiel, chacun peut juger son bilan. « Grâce à la stabilité politique dont a bénéficié la ville,Nancy joue dans la cour des grands. Tout le monde dit que Nancy se développe plus vite que Metz. Nous avons créé une communauté urbaine qui regroupe 270 000 habitants et 20 communes », plastronne le maire.
En 1999, la commémoration du centenaire de « l'Ecole de Nancy » qui a attiré 400 000 visiteurs du monde entier à l'occasion des célébrations du patrimoine Art Nouveau de la ville a indéniablement redoré le blason du Dr Rossinot. « Un pic d'activité dans un silence assourdissant », commente Jean-Yves Le Déaut, qui attaque tous azimuts : le « lourd » endettement de Nancy (7 105 F par habitant), une fiscalité locale « trèsélevée », la « coupure forte » entre l'université et la ville, les appartements « trop chers » dans le centre, les « gros problèmes » de circulation, la « conversion récente » du maire aux technologies nouvelles.
André Rossinot répond que son adversaire, député d'une circonscription extérieure à Nancy, « ne connaît pas la ville », que « Le Déaut est un coucou qui vient pondre dans le nid », que c'est un « cumulard », « personnel et solitaire », qu'il veut se servir de la mairie comme d'un « tremplin », qu'il « court après un maroquin ».
On ne s'attendait pas à des propos aussi féroces de la part du maire centriste à la barbe rassurante. « Vous savez : derrière les rondeurs, il y a la fermeté ! », lâche l'ancien ministre de la Fonction publique (1993-1995).
Mais ces temps-ci, ce dont tout le monde parle dans la capitale des ducs de Lorraine, c'est le « tramway sur pneus », un chantier de plus d'un milliard de francs qui a mis la ville sens dessus dessous pendant un an et demi et a nourri d'innombrables polémiques sur son coût réel, sa conception, ses avaries, son parcours, le retard dans les travaux, et, finalement, son utilité. Dans ce contexte, le Dr Rossinot, qui avait fait de ce moyen de transport une « exclusivité mondiale », inauguré par Bernadette Chirac en décembre dernier (avant que la mise en service soit différée), n'en fait plus un argument électoral. « Le tram n'est ni de gauche ni de droite », assène le maire.
« Le tram, c'est un coup de poker électoral qui a loupé! », corrige Jean-Yves Le Déaut.
Postulant au ministère
de la Santé
Dans ce duel au coude à coude, les quelque 16 000 voix des professions de santé pourraient faire la décision. André Rossinot souligne qu'il a été, en tant que maire, un « vrai » président du conseil d'administration du CHU de Nancy, établissement qui arrive en tête du peloton dans le dernier classement des hôpitaux français du « Figaro Magazine » (octobre 2000). « Je n'ai jamais manqué une séance », précise-t-il. Et de rappeler aussi la création dans la ville d'une unité médico-sociale d'accueil et d'orientation des personnes en situation précaire, rattachée au CHU. Dans le secteur libéral, le maire insiste sur l'effort (récent) de la municipalité pour faciliter le stationnement quotidien des professionnels de santé qui font des visites à domicile à Nancy : un « macaron santé » gratuit permet depuis décembre, sous conditions, d'éviter les PV. Mais Jean-Yves Le Déaut refuse de laisser le maire sortant occuper seul cet espace électoral. Le candidat socialiste rappelle qu'il est un des experts « reconnus » des questions de santé publique et de sécurité alimentaire à l'Assemblée nationale, que ses travaux parlementaires ont abordé les OGM, les déchets radioactifs, la politique nucléaire, le SIDA, les lois bioéthiques ou encore l'ESB. Parfois surnommé le « casque bleu de la science », il juge que sa candidature a « une très forte connotation médicale et une crédibilité certaine dans les milieux industriels et scientifiques ». A tel point que, selon certaines rumeurs, Jean-Yves Le Déaut se verrait volontiers, un jour, au ministère de la Santé ou de l'Agriculture.
Dans sa petite permanence électorale, Jean-Yves le Déaut jubile. Il vient de faire, de son propre avis, « un très bon coup » grâce au renfort d'un autre universitaire bien connu des Nancéiens : Jack Lang, figure emblématique de cette ville intellectuelle et étudiante, va présider son comité de soutien pour la fin de campagne. Jack Lang qui, il y a plus de quarante ans, fréquentait sur les bancs du lycée Poincaré de Nancy un certain... André Rossinot. En politique, même une très vieille camaraderie trouve parfois ses limites.
Une importante ville universitaire
- Population : 105 830 habitants (270 000 pour la communauté urbaine du Grand Nancy)
- Budget 2000 : 912 MF
- Dette par habitant (2001) : 7 105 F
- Taux de chômage : 9,8 %
- 48 000 étudiants, 4 000 chercheurs et techniciens
Maire sortant : André Rossinot (UDF), maire depuis 1983, réélu au deuxième tour en 1995 avec 45,22 % des voix, devant Françoise Hervé (divers droite « sans étiquette »), 28,08 % et Jean-Louis Thiébert (PS), 26,70 %.
Les principales listes en présence en 2001
- UDF-RPR-DL-RPF, conduite par André Rossinot ;
- PS-PC-Verts-PRG-MDC (gauche plurielle) conduite par Jean-Yves Le Déaut ;
- DVD « sans étiquette », conduite pas Françoise Hervé ;
- Lutte ouvrière, conduite pas Christiane Nimsgern ;
- « sans étiquette », conduite par Philippe Louis, Génération écologie.
Il n'y a pas de liste FN, ni MNR à Nancy .
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