D E l'avis général, la réélection de Jean-Marc Ayrault à la mairie de Nantes ne devrait être qu'une formalité. Le réveil spectaculaire de la « belle endormie » entrepris sous sa houlette depuis 1989, son dynamisme retrouvé après les années de crise marquées par la fermeture des chantiers navals, sa spectaculaire réussite culturelle semble assurer son troisième mandat au président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale.
L'histoire d'amour nouée entre le professeur d'allemand originaire des Mauges, jusque-là maire de Saint-Herblain, une banlieue populaire de Nantes et sixième ville de France, traditionnellement classée au centre, n'était pourtant pas jouée d'avance. Nantes s'est longtemps cherchée, changeant quatre fois de maire en douze ans, fidèle à un adage local qui veut que « les gens partent au gré du vent et reviennent avec la marée ». Mais elle semble aujourd'hui tombée sous le charme de son maire socialiste.
Rien ne peut entamer la cote de confiance de Jean-Marc Ayrault auprès de ses administrés, même pas sa condamnation en 1997 par le tribunal correctionnel de Nantes pour favoritisme. Fort de nouveaux projets pour sa ville, il dit lui-même ne pas ressentir l'usure du pouvoir.
L'affaire du
stade Marcel-Saupin
A deux semaines du scrutin, le maire sortant avoue donc sans fausse modestie être « relativement confiant ».
Il peut se le permettre. Un sondage IPSOS réalisé pour « Libération » au début de l'année dernière indiquait que 85 % des Nantais étaient satisfaits du travail accompli et 62 % souhaitaient que M. Ayrault soit reconduit dans ses fonctions, dont 31 % des sympathisants de droite. Quant au seul sondage réalisé depuis le début de la campagne par « l'Hebdo de Nantes » et l'Institut Arsh-Opinion, il le donne vainqueur dès le premier tour avec 59 % des suffrages.
Autant dire que la campagne électorale a démarré ici plutôt mollement et ne semble passionner ni les Nantais eux-mêmes, ni les grands médias nationaux.
Seule la proposition de Jean-Luc Harousseau, le candidat de l'union de l'opposition, de détruire le mythique stade Marcel-Saupin, où est né le Football Club de Nantes, considérée comme un crime de lèse-supporter, a réveillé quelque temps les ardeurs électorales et contraint le candidat à convoquer une conférence de presse pour s'expliquer. « C'est un stade qui ne sert plus à rien depuis la construction de la Beaujoire il y a seize ans. Il n'a pas été entretenu par la municipalité sortante et est dans un état de vétusté invraisemblable. Je sais que je prends le risque politique de déplaire à tous les amateurs de foot ; mais c'est sans doute le privilège de ne pas être un professionnel de la politique », explique celui à qui échoit la lourde tâche d'affronter Jean-Marc Ayrault en son fief.
Un double parrainage
C'est ce professeur de médecine, chef du service d'hématologie clinique et d'oncologie pédiatrique du CHU de Nantes, praticien jouissant d'une bonne renommée internationale, que la droite locale a choisi pour mener la bataille, sous le double parrainage du RPR François Fillon, patron du Conseil régional des Pays de la Loire, et de l'UDF Philippe Douste-Blazy, secrétaire général de la nouvelle UDF.
Une responsabilité que Jean-Luc Harousseau a longtemps hésité à accepter, il ne s'en cache pas. Ce n'est pas que le pari l'effraie. « En tant que cancérologue, j'ai l'habitude des combats difficiles », précise-t-il. Il n'est d'ailleurs pas tout à fait un « bizuth » en politique. Au conseil municipal pendant dix ans, premier vice-président du conseil régional et président de l'UDF locale, il a déjà affronté deux fois Jean-Marc Ayrault, sans succès, lors d'élections législatives. « J'aime passionnément mon métier. L'hématologie clinique est une discipline qui évolue très vite et j'ai encore beaucoup de choses à y faire. Si j'étais élu, je devrais probablement renoncer à tout ça », confie-t-il. Des mauvaises langues murmurent que, peu enthousiaste, il aurait finalement accepté de se lancer dans la bataille contre la promesse d'un siège de sénateur. Avec un double objectif : parvenir à unir une droite traumatisée par ses précédents échecs et proposer aux Nantais une alternative crédible à la gestion municipale actuelle.
Jean-Luc Harousseau peut déjà se flatter d'avoir atteint le premier. Sa liste opère un large rassemblement allant du centre-droit jusqu'aux villiéristes. « C'est le retour de la vieille droite nantaise », ne se prive pas de claironner Jean-Marc Ayrault. L'union était cependant un préalable indispensable dans la mesure où certains ont vu dans l'échec cinglant d'Elisabeth Hubert (RPR) lors du précédent scrutin la conséquences de divisions internes. L'éphémère ministre de la Santé publique et de l'Assurance-Maladie du gouvernement Juppé avait été battue en 1995 dès le premier tour et n'avait recueilli que 38 % des voix. A voir l'effervescence qui règne dans le local de campagne de Jean-Luc Harousseau et la mobilisation des militants derrière lui, tout le monde semble désormais en ordre de bataille.
Une partie difficile
Bien sûr, le discours officiel tenu par son équipe de campagne et répété à l'envi est « qu'une élection n'est jamais gagnée ni perdue d'avance ». Mais Jean-Luc Harousseau reconnaît lui-même que la partie sera difficile. « Je sais que je n'ai pas les faveurs du pronostic. Mon objectif est donc de faire le meilleur résultat possible. »
Souffrant de surcroît d'un relatif déficit de notoriété au niveau politique, le candidat de l'opposition a été contraint d'entrer très tôt en campagne et de déclencher les hostilités. Il s'applique, depuis, à démolir le discours ambiant sur « le bon bilan d'Ayrault ». S'il reconnaît que la ville marche bien, que le climat y est bon et la conjoncture économique favorable, il souligne toutefois que le maire sortant a su avantageusement tirer le bénéfices d'opérations d'infrastructures menées par d'autres, qu'il s'agisse du TGV, du pont de Cheviré, du tramway ou encore du périphérique. « Je suis frappé du décalage qu'il y a entre l'image idyllique de la ville véhiculée par les médias et les préoccupations des Nantais sur le terrain », observe le candidat de l'opposition qui dénonce pêle-mêle les problèmes de circulation dans l'agglomération, l'insécurité selon lui totalement occultée par l'équipe municipale sortante, la fiscalité trop lourde avec une dette de près de 3 milliards de francs et la vie des quartiers laissés à l'abandon.
Au « dirigisme » du maire actuel, Jean-Luc Harousseau oppose donc un projet plus libéral, intelligemment mâtinée de préoccupations sociales chères à la bourgeoise catholique du cru.
« Jean-Marc Ayrault a privilégié les grandes actions médiatiques, le politiquement rentable pour faire de Nantes un marchepieds pour ses ambitions politiques nationales. Or, on n'éclaire pas une ville avec des feux d'artifice », poursuit Jean-Luc Harousseau.
Une « ville en mouvement »
La dénonciation du « système Ayrault » constitue le second angle d'attaque. Son challenger a profité des critiques exprimées par certaines associations culturelles écartées du bénéfice des subsides municipales pour l'accuser de pratiquer « une politique des amis » et d'entretenir notamment à travers les comités consultatifs de quartier une certaine forme de clientélisme.
« En dix ans de conseil municipal, Jean-Luc Harousseau n'est pas intervenu une seule fois », rétorque le principal intéressé qui ne voit rien de novateur dans le projet de l'opposition. « Il véhicule comme ailleurs le thème de la sécurité et de la circulation » et ne consiste qu'en un « remake de vieilles recettes éculées », assène Jean-Marc Ayrault. Lui, il est plutôt content de son bilan et ne s'en cache pas. « Ce dont je suis le plus fier, c'est d'avoir redonné à Nantes sa place de grande ville de province », reconnaît-il, en énumérant ses réussites en matière de politique sociale, de transport et d'urbanisme qui lui valent d'être consulté par d'autres municipalités. Sans oublier la culture, « un des éléments phares de notre action qui a donné à Nantes le rayonnement qui lui manquait », poursuit-il. Fort de son actif, Jean-Marc Ayrault propose désormais aux Nantais une nouvelle étape. « La ville est en mouvement. Il faut désormais faire en sorte que cela ne s'arrête pas, car les retours en arrière sont toujours possible. » Il entend donc poursuivre le développement économique de la ville en s'appuyant non seulement sur la communauté urbaine qui regroupe 21 communes depuis le 1er janvier, mais également sur la métropole Nantes - Saint-Nazaire. Avec près de 800 000 habitants, celle-ci lui confère la dimension européenne qui lui fait actuellement défaut. Pour atteindre cette « nouvelle frontière », le maire de Nantes a profondément renouvelé l'équipe sortante et l'a féminisée, loi sur la parité oblige. Le Dr Rachel Bocher, psychiatre au CHU de Nantes et présidente de l'Intersyndicat national les praticiens hospitaliers (INPH), en sixième position sur sa liste, en a bénéficié (voir encadré). Elle ne tarit pas d'éloges sur Jean-Marc Ayrault qu'elle considère comme « un vrai leader ». Enthousiaste et soudée, l'équipe de campagne du maire sortant se plaint surtout pour l'instant « de ne pas avoir de véritable opposition », mais se garde cependant de tout triomphalisme car le danger du scrutin, ils le savent, peut résider dans une abstention massive. Jean-Marc Ayrault en a également conscience qui, depuis la semaine dernière, a commencé à sillonner consciencieusement les onze quartiers de sa ville.
Le Dr Rachel Bocher s'engage aux côtés de Jean-Marc Ayrault
P SYCHIATRE des hôpitaux, chef de service au CHU de Nantes, le Dr Rachel Bocher, qui se présente en sixième position sur la liste de Jean-Marc Ayrault, n'est pas une inconnue du milieu médical puisqu'elle préside depuis 1998 aux destinées de l'un des principaux syndicats de praticiens hospitaliers.
Pour elle, engagement politique et syndical se rejoignent, même si c'est sans étiquette qu'elle se présente aux élections municipales. « Je veux avoir les mains libres aussi bien à la tête de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers qu'en tant que candidate aux élections », explique-t-elle.
Son engagement en faveur de la défense du service public qu'elle a mené tout au long de sa carrière hospitalière, d'abord au sein du Syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP) puis de l'intersyndicat, elle souhaite aujourd'hui le prolonger aux côtés de Jean-Marc Ayrault.
« Je le connais depuis longtemps. Je l'ai contacté à propos d'un projet d'intégration de mes patients dans la ville et je me suis retrouvée totalement en phase avec la municipalité. J'ai bénéficié d'un bon accueil, d'une écoute et surtout de moyens. »
Le Dr Rachel Bocher est consciente d'avoir en partie bénéficié de l'effet de la loi sur la parité, mais souligne que l'équipe sortante comprenait déjà 30 % de femmes. Très enthousiaste par cette nouvelle aventure, elle se dit prête à mettre ses compétences au service de la municipalité dans le domaine de la santé mais pourquoi pas dans d'autres domaines. « J'aime ma ville, j'y vis depuis l'âge de deux ans et j'ai envie d'y faire des choses. Or, Jean-Marc Ayrault a encore plein de projets, il donne envie de travailler avec lui, c'est un vrai leader. »
La liste de candidats ayant été renouvelée à 50 % par rapport à la dernière élection, ce sont les « anciens » qui parrainent les nouveaux. Le Pr Michel Marjolet, spécialiste de pathologies exotiques et chef du service de parasitologie du CHU de Nantes, a été élu en 1995 sur la liste Ayrault, également sans étiquette. Chargé de la coopération et de la solidarité internationale, il a mis son expérience et ses relations de chercheur mais également son implantation dans les structures associatives au service de la municipalité afin, notamment, d'y défendre « le caractère social » de la médecine.
Tous deux représentent donc cette « société civile » que la plupart des candidats cherchent à placer sur leur liste. Ils sont confiants sur l'issue du scrutin. « On dit que l'on bénéficie de la prime au sortant, constate le Dr Bocher, mais celle-ci n'existe que si on a un bon bilan à défendre. Jean-Marc Ayrault en a un. La ville est en pleine transformation. On n'a pas besoin du changement pour avoir le changement. »
Une forte croissance démographique
Population : 270 251 habitants (environ 560 000 dans la communauté urbaine), en progression de plus de 10 % par rapport au dernier recensement.
Budget de la ville : 2,5 milliards de francs (4 milliards de francs pour la communauté urbaine).
Dette par habitant : 9 977 F/habitant.
Taux de chômage : 11,5 %.
Maire sortant : Jean-Marc Ayrault (PS), 51 ans, maire depuis 1989, réélu en 1995 dès le premier tour avec 57,88 % des voix. Auparavant, maire de Saint-Herblain, entre 1977 et 1989. Député de Loire-Atlantique depuis 1986, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale depuis 1997.
Listes en présence :
- PS-PC-Verts-MDC-PRG - Les alternatifs-UDB, conduite par Jean-Marc Ayrault.
- UDF-RPR-DL, conduite par Jean-Luc Harousseau.
- Lutte ouvrière, conduite par Hélène Defrance.
- Mouvement national républicain, conduite par Pierre Péraldi.
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