Dépression résistante

Ne pas oublier les IMAO

Publié le 15/12/2011
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LES PROPRIÉTÉS antidépressives des IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase) ont été découvertes à la fin des années 1950, alors qu’ils étaient utilisés comme antituberculeux (isoniazide). Ils ont longtemps été considérés comme des molécules de référence, puis ont vu leur prescription diminuer fortement dans les années 70-80, période au moment de laquelle ils sont tombés en désuétude. Cette désaffection est due à la complexité de leur prescription (risque d’interactions médicamenteuses et alimentaires) et à l’apparition d’autres classes d’antidépresseurs comme les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Pourtant, selon le Dr David Gourion, « les IMAO non sélectifs (actifs sur la MAO-A et sur la MAO-B), non réversibles, sont des composés réellement efficaces dans les dépressions résistantes. » Actuellement, le seul représentant de cette classe est l’iproniazide (Marsilid) dont la première AMM date de 1959. Il a failli disparaître de la pharmacopée, mais a été remis sur le marché à la demande des autorités de santé en raison de son profil psychopharmacologique particulier. D’ailleurs, il a un SMR (service médical rendu) de niveau « important » (HAS 2001) et son AMM a été récemment renouvelée.

Un mode d’action particulier.

La plupart des antidépresseurs ont un mode d’action indirect et agissent par inhibition de la recapture d’un neurotransmetteur (noradrénaline, dopamine, sérotonine), mais ils n’augmentent pas la concentration de ce neurotransmetteur au niveau de la synapse neuronale. Au contraire, les IMAO en inhibant l’enzyme qui dégrade ces neurotransmetteurs, empêchent leur catabolisme et augmentent leur concentration dans la fente synaptique. Il en résulte un certain effet psychostimulant et anxiolytique qui est bénéfique dans la dépression avec anxiété. « L’iproniazide, souligne David Gourion, est la seule molécule de notre arsenal thérapeutique qui a un effet triaminergique direct. Cela explique certainement son profil d’action original et son efficacité toute particulière sur la dépression résistante. Bien sûr, ce n’est pas un traitement à envisager en première intention, mais il peut être utile en 2e, 3e ou 4e ligne de traitement chez des patients qui ont eu un parcours thérapeutique difficile. Ces patients peuvent en retirer un bénéfice considérable. Il faut y penser avant l’électrochoc. »

Des précautions d’emploi moins drastiques qu’on ne le pense.

Le Dr David Gourion rappelle de plus que les précautions à prendre ne sont pas si contraignantes. Ces médicaments nécessitent une surveillance de la pression artérielle, de la fonction hépatique et du risque d’interactions médicamenteuses. La restriction en matière d’alimentation se limite à éviter les composés riches en tyramine : viandes faisandées et abats, sauce au soja et nuoc-mâm, fromages fermentés et bières fermentées. On interdisait à tort les bananes, mais, en fait, seule l’enveloppe contient de la tyramine. De même, contrairement à ce qui a été dit, café et chocolat ne sont pas interdits car la théobromine qu’ils contiennent n’a pas d’interaction avec la tyramine. « Les patients sous IMAO avaient l’impression qu’ils ne pouvaient pas vivre normalement. Quand ces quelques précautions sont prises, l’iproniazide est une molécule bien supportée. »

En ce qui concerne le profil d’efficacité de l’iproniazide, il faut tenir compte d’un certain délai dans l’apparition de l’activité. Le Dr David Gourion considère qu’il faut attendre de 8 à 12 semaines avant de reconsidérer le traitement. Quant au risque suicidaire, il n’est pas plus grand qu’avec les autres antidépresseurs. « Il faut être clair, les patients ayant une dépression depuis 20 ans et à qui aucun traitement n’a apporté de soulagement sont à risque de suicide. C’est une composante de la dépression. Le risque suicidaire diminue si le déprimé est bien traité. »

Néanmoins, l’iproniazide risque de disparaître car les cliniciens le connaissent mal et hésitent à le prescrire par crainte d’effets secondaires. De plus, les essais cliniques sont anciens : « De nouvelles études devraient être réalisées avec les méthodes actuelles dans les dépressions résistantes. Il faudrait aussi reprendre des recherches pour trouver de nouveaux IMAO mieux tolérés. En attendant, l’iproniazide ne doit pas être retiré du marché. »

D’après un entretien avec le Dr David Gourion, centre hospitalier Sainte-Anne, Paris.

Conflits d’intérêt : Aucun.

 YVONNE EVRARD

Source : Bilan spécialistes