Tribune

« Organisés, les patients doivent s’imposer comme un contre-pouvoir, uni, reconnu et respecté »

Publié le 01/06/2017
visuel Ceretti

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Alain-Michel Ceretti (photo) vient d’être élu à l’unanimité à la présidence de France Assos Santé (initialement UNAASS) qui installe la parole des patients vis-à-vis des institutions et leurs droits juridiques. La création de cette agence indépendante a été facilitée par la volonté de Marisol Touraine, encore ministre des Affaires Sociales et de la Santé. La naissance de cette association nationale des usagers de la santé, largement passée inaperçue dans les médias nationaux, est sans doute l’acte fondateur d’un nouveau paradigme de la démocratie au pays de Voltaire. La tâche est immense et les enjeux fondamentaux pour les patients. Le combat des voraces contre les coriaces est engagé. On vous explique pourquoi.

Aux larmes citoyens

Les chiffres de la mortalité par erreurs médicales et infections nosocomiales n’ont jamais fait l’objet d’étude objective indépendante. Et pour cause, l’Etat, premier des actuaires et son propre assureur, pourrait se voir épinglé par la justice si la transparence venait à éclairer ce champ de la médecine et du secteur médico-social. Tout au plus, les événements indésirables – terme choisi à dessein – doivent-ils faire l’objet d’une déclaration que le réseau des CHU estime pour sa part à 400 000 par an. L’ARS Ile-de-France indique « une progression de 25 % pour la seule année 2014 avec un décès dans la moitié des cas ». « La dernière étude, que beaucoup considèrent comme peu fiable et dépassée, date d’il y a vingt ans et il est prévu de lancer un appel d’offres en septembre 2017 », selon le Pr Mahmoud Zureik (directeur scientifique de l’Agence nationale de la sécurité du médicament) (Le Figaro, 14/06/16).

Malgré ces opacités, on peut néanmoins approximer l’ampleur des dégâts en se basant sur les pays qui, eux, publient leurs éléments. Ainsi les Etats-Unis annoncent « un chiffre probable autour de 400 000 décès par erreurs médicales dont 210 000 pour les seuls hôpitaux », sous la plume des Pr Martin Makary et Michael Daniel de la Johns Hopkins University School of Medicine (British Medical Journal, 04/05/2016). « C’est un chiffre supérieur à la mortalité due au Sida et au paludisme réunis », ajoutent-ils. Selon la CDC (Center for Disease Control, Health United States, Table 19, 2015), « nous avons affaire à la troisième cause de mortalité aux Etats-Unis derrière les pathologies cardiaques et les cancers ». Par approximation linéaire, et même si la France a « le meilleur système de santé au monde » - enfin presque, car nous sommes passés de la première place en 2000 à la 15e place selon l’OCDE (2017) -, on est en droit de penser que les erreurs médicales produisent entre 50 000 et 65 000 décès par an.

S’agissant des infections nosocomiales (HAI ou Health Acquired Infections chez l’Oncle Sam), la CDC s’alarme (National and State Healthcare Associated Infections, CDC Progress Report, 2016) de la prévalence de 1,7 million de patients touchés à l’hôpital provocant 99 000 décès par an pour un coût autour de 50 milliards de dollars américains. Transposés en France, ces chiffres donnent, en approximation linéaire, 20 000 décès (compte tenu du nombre d’hôpitaux plus élevé en France) et une charge publique de 9 milliards, sans parler des réparations civiles et pénales.

 

On remarquera aussi les difficultés où se trouvent les patients pour faire valoir leurs droits à l’information - dont l’accès à leur dossier médical – et plus grave à réparation en cas de faute. C’est parfois à se demander si le patient n’est pas quelquefois un empêcheur de tourner en rond.

 

Qu’internet soit et la data fut

C’est dans ce contexte qu’est survenu Internet et le savoir universel partagé, les réseaux sociaux et le partage des opinions et des expériences (Facebook, Twitter, etc.) dans un monde désormais numérique connecté. Cette évolution technologique, comme beaucoup, présente deux faces à la médaille de la modernité.

Pile, c’est la possibilité de partager des données pour la recherche au nom de la santé publique et l’épidémiologie digitale en temps réel, la modélisation dynamique, la prévention, la détection d’effets secondaires, le suivi ambulatoire, la fraude sociale, etc. Face, ce sont les appétits mercantiles pour les données personnelles sous couvert de santé publique par certains acteurs privés comme les Gafa, les laboratoires via des opérateurs (pharmacies, collecteurs de données), les ébrouements des apprentis sorciers du Big Data et de l’IA (intelligence artificielle), les gourmandises des apprentis « génomistes » de tous poils et, pire, élucubration des transformistes génomiques là où les lois sont dites « souples » (Beijing Genomics). Et les tentations eugéniques à but financier ne sont pas loin. On citera les banques de sperme payantes – et chères, jusqu’à 12 000 euros HT – comme Fairfax Cryobank, California Cryobank aux Etats-Unis ou Cryos au Danemark - qui proposent de choisir la taille, la couleur des yeux, la couleur de peau, le QI, le cursus universitaire, le salaire, la religion et même le signe astrologique ! Pour qui cherche un peu à s’informer, on remarquera la course effrénée à la donnée personnelle gratuite à des fins commerciales ou au contournement des règles éthiques. L’absence de contrôle et de sanction réelle par défaut de moyens, de volonté ou par l’encouragement au business est patent. Le contre-exemple récent le plus frappant à opposer à ces chercheurs d’or est l’explication du succès du régime crétois qui n’est définitivement pas dû audit régime, mais à l’expression d’un gène sur le chromosome 16 cardio-protecteur parmi 1 503 personnes génétiquement séquencées par un groupe de recherche des universités d’Oxford et d’Athènes (Nature 27/05/17). Ce résultat formule un constat en forme de cul-de-sac, sauf à modifier le génome des personnes qui auront perdu à la loterie darwinienne. C’est ballot.

 

France Assos Santé

Composite de plusieurs collèges, représentatifs des organisations de patients et des consommateurs, France Assos Santé inclut notamment des groupes tels la Fédération des diabétiques ou Que Choisir. Dans sa feuille de route, elle devra définir et proposer les actions prioritaires à mener du point de vue des patients, animera les réseaux, contribuera à l’information du grand public, l’organisation de débats publics, la promotion des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le champ de la santé, sera un observateur économique, social et pour la recherche. Enfin, et c’est très notable, elle sera un acteur dans la défense des droits des patients et des usagers de la démocratie sanitaire.

On attend avec grand espoir la position de France Assos Santé sur la sécurité des systèmes d’information, la garantie de la protection de la vie privée des patients, parents pauvres du dispositif de l’arsenal sanitaire et de la démocratie. Le manque d’autorité de l’Etat, le manque de volonté pour se doter de moyens de contrôle et de coercition ont conduit différents acteurs à piétiner le droit ou le contourner, sûrs de leur impunité. Les cyberattaques récentes sont appelées à se multiplier, comme on le voit quotidiennement aux Etats-Unis ou en Angleterre. Malgré une communication lénifiante de l’organisation des soins (Atlas des SIH) par des côtés largement optimisés, l’ANSSI se veut alarmiste et prévoit une catastrophe d’ampleur. Ainsi, la DGOS voit un signe encourageant dans la présence de référents sécurité dans 90 % des établissements de santé. On lui opposera la réalité mesurable selon le Club des RSSI qui ne compte qu’une quarantaine de membres et que l’Association française des correspondants à la protection des données à caractère personnel souligne que ces correspondants ne consacrent que 2 jours par mois à leur fonction sécurité.

Le GDPR (General Data Protection Regulation) de l’Union européenne, pour sa part sera un allié qui voit renforcés les droits des patients avec de lourdes pénalités à compter du 25 mai 2018, la possibilité de lancer de façon plus facile des Class Actions réelles. Une étude récente montre que 75 % des entreprises françaises ne sont pas prêtes du tout et ce chiffre culmine à 90 % dans les hôpitaux notablement incapables de recenser et de localiser les données sensibles des patients. Le coût de cette mise en conformité, non budgétée à ce jour, devrait coûter très cher à l’Etat (plusieurs dizaines de millions d’euros) d’autant plus que la date butoir de mise en œuvre n’est pas négociable. Ajoutons à cela le recrutement obligatoire de DPO (Data Protection Officer) qui n’ont pas été formés à ce jour, la déclaration obligatoire des incidents informatiques (Article 110 de la loi de modernisation de la santé). Et que dire de l’explosion des failles dans les appareils médicaux connectés, le développement exponentiel d e l’IOT annoncé comme une catastrophe ambulante. Le parcours de la vertu et du respect de la sécurité risque d’être pour le moins sportif.

 

Alain-Michel Ceretti, la force de la volonté contre l’injustice

Entrepreneur et industriel informatique, rien ne prédestinait le nouveau président de France Assos Santé à brandir la flamme de la défense des patients. Sauf peut-être à considérer que cet esprit carré dans un corps rond possède une force de conviction peu commune, une autorité naturelle, une écoute rare et le goût de l’efficace quitte à jouer des épaules qu’il a fort larges. Le tout avec élégance. Rien ne le prédestinait donc jusqu’au jour (1997) où son épouse et une cinquantaine de patients furent victimes d’un Mycobacterium Xenopi à la Clinique du Sport de Paris, établissement déjà condamné en 1993 pour publicité abusive. Les débuts de l’action juridique furent délicats tant était grande la solitude dans laquelle se trouvaient les patients. Au ministère de la Santé, on argua de l’aléa médical pendant six ans sous différents ministres pas plus inspirés les uns que les autres (Evin, Bianco, Teulade, Kouchner, Veil, Hubert, Barrot et enfin Aubry). Après une longue errance et des médecins toujours méprisants, la faute fut mise au jour, gravissime, avec un défaut de stérilisation (eau contaminée et réutilisation de matériel jetable) pour de cyniques raisons mercantiles et d’économies de bout de chandelles. Le combat juridique, porté par M° Patrick de La Grange, agissant à titre bénévole, qui trouva son issue en octobre 2009 avec la condamnation à la prison ferme pour les deux médecins reconnus responsables. Alain-Michel Ceretti n’a pas apprécié l’attitude du corps médical qui a conduit au handicap grave, émaillé de douleurs insupportables, chez plusieurs dizaines de patients. Et quand il n’est pas content, on s’en aperçoit assez vite, il a tendance à prescrire des ordonnances et des sévères, à montrer qui est Raoul, à ventiler façon puzzle. Sa constance et son aversion pour l’injustice dans ce combat de vingt ans – oui, la Justice était rapide en ces temps - a permis de contraindre l’Etat de revoir les règles d’hygiène dans les établissements de santé et d’obtenir le droit à l’indemnisation des patients pour les infections nosocomiales et les accidents médicaux. On dit de ce Tonton flingueur qu’il vaut l’avoir pour ami que comme ennemi. S’agissant de France Assos Santé et de sa philosophie, Alain-Michel donne le ton : « Les patients doivent s’imposer comme un contre-pouvoir, uni, reconnu et respecté. Les questions de santé sont trop importantes pour les laisser entre les seules mains des professionnels de santé et des responsables administratifs. »

Il n’est pas certain que ceux – l’Etat - qui ont porté France Assos Santé sur les fonds baptismaux aient bien mesuré ou compris la liberté, la puissance de l’armée des citoyens en marche avec les réseaux sociaux, leur quête de justice avec à leur tête le « Général » Ceretti. On prédit une avancée majeure pour la démocratie sanitaire et la démocratie tout court.

Pas sûr que l’Etat qui a ouvert la boîte, ait bien saisi que c’était celle de Pandore. La parole des patients existe désormais.

Jean-Pierre Blum

Source : lequotidiendumedecin.fr