Penser Charlie

Publié le 07/01/2016

Un an après la séquence Charlie, la France est face à une page blanche. Pourquoi écrire l’avenir alors que certains de ses enfants récusent l’héritage et optent pour d’autres valeurs ? Comment en est-on arrivé-là ? Le pire s’il n’est jamais sûr ne peut être écarté d’un revers de main. Dans une de ses 13 brillantes leçons d’histoire consacrée à ce que dit Charlie (1), Pascal Ory, rappelle qu’« il n’est écrit nulle part que l’avenir des sociétés humaines soit "nécessairement"  tolérant, libéral et humain (p.71) ». L’Histoire certes aime faire la révolution. Elle ne récuse pas pour autant l’involution. Dans ce contexte, les événements de 2015 portent un nouveau coup à la religion de l’Occident, celle du progrès. Ils ne sont pas alors seulement un coup de tonnerre dans un ciel serein. L’attentat contre Charlie s’inscrit dans une histoire longue. Selon Pascal Ory, « tout s’il n’est seulement politique selon le slogan de 68 est au moins culturel, y compris le radicalisme religieux. Les islamistes terroristes sont les frères des radicaux occidentaux antérieurs ». Ils participent de plein droit à la civilisation moderne portée par le monothéisme chrétien puis islamique. Au lieu d’afficher le chiffon rouge des guerres de religion ou de choc de civilisation, Pascal Ory évoque l’affrontement entre deux cultures, celle qui vise à l’intégration démocratique libérale face à un autre modèle celui de « l’inclusion communautaire autoritaire ». En réponse à l’émotion qui entrave la réflexion, la mise en perspective permet ici de bousculer l’événementiel, d’embrasser plus de 200 ans d’histoire et de regarder enfin au-delà du 7 janvier.

Gilles Kepel pour sa part, à ce large panoramique pratique le plan rapproché. À mi-chemin entre l’essai politique et le journalisme d’investigation, son dernier opus est pour le moins dérangeant. Sa focale explore une décennie où tout a changé entre les émeutes de 2005 et les attentats de 2015. C’est aussi en 2005 où est mis en ligne « l’Appel à la résistance islamique mondiale » ; écrit par l’ingénieur Suri, djihadiste syrien naturalisé espagnol promis à un bel avenir et à l’origine de la 3e génération de djihadistes. Cette enquête raconte dans le même temps une autre histoire de France avec des lieux (Artigat, Lunel) qui témoignent d’un enracinement spatial et temporel de la frange radicale islamique. Son attractivité est liée à une maîtrise de l’outil Internet, notamment vidéo. De nouveaux leaders à Nice apparaissent. On ne peut plus parler de loups solitaires ou de feux de paille. D’autant que l’Europe et surtout la France sont devenues les zones sensibles où une guerre civile entre communautés trouverait un terreau fertile. Comment contrer l’épidémie alors que l’ingénieur en chef de Daesch au lieu d’une structure pyramidale à l’œuvre à l’époque d’Al Qaida privilégie une structure réticulaire très difficile à surveiller ? Le renseignement ne peut à l’évidence constituer l’arme fatale. Les deux auteurs misent à long terme sur l’éducation et la culture ? Peut-il y avoir d’autre choix ?

En tout cas, à la lecture du livre de Gilles Kepel, il est bien souligné que ce phénomène de terrorisme n’est pas près de s’éteindre.

Ce que dit Charlie, Pascal Ory, collection le Débat, éd. Gallimard, 236 p, 15,90 euros.

Terreur dans l’Hexagone, Gilles Kepel avec Antoine Jardin, éd. Gallimard 330 p, 21 euros.


Source : lequotidiendumedecin.fr