"M. Brouardel, l'éminent doyen de la Faculté de Paris vient de présenter au Conseil général des Facultés des observations pleines d'intérêt sur ce qu'on pourrait appeler la pléthore médicale. Il y a trop d'étudiants et, par suite, trop de docteurs : c'est le cri général. Au train où vont les choses, le nombre de médecins à Paris et dans les grandes villes de France va chaque jour augmentant et les communes ou petites villes sont de moins en moins desservies. C'est ce péril imminent que M. Brouardel, avec un courage qui l'honore, n'a pas craint de dénoncer. C'est parce que nous étions désireux de connaître l'avis du plus bienveillant des doyens sur les causes et les remèdes de cette situation alarmante que nous sommes allés solliciter de sa haute bienveillance la communication, nous étions prêts d'écrire le communiqué, (d'une importance que nous n'avons nul besoin de souligner) que nous sommes heureux de mettre sous les yeux de nos lecteurs.
"A l'heure actuelle, il y a environ 10 000 étudiants de médecine répartis dans les diverses Facultés de France. En dix ans, le nombre des étudiants a doublé. Rien qu'à la Faculté de médecine de Paris, sur une population totale de 5 144 étudiants, l'effectif des étrangers est de 1 002, dont 83 hommes et 169 femmes. Les étudiantes françaises ne sont que 24. Voilà des chiffres indiscutables. Voilà ce qui doit donner à réfléchir.
On a pas cru devoir attribuer la cause de cet accoisssement du nombre des étudiants à la loi militaire. On a prétendu que les étudiants en méecine étaient privilégiés par ce fait qu'ils n'étaient appelés qu'un an sous les drapeaux. La carrière médicale était et deviendrait de plus en plus recherchée. C'est, à mon sens, une illusion : si nos jeunes gens ne sont pas reçus docteurs à 26 ans, 27 ans, si la proposition votée par le Sénat est acceptée par la Chambre, on les incorpore pour deux ans, et cette perspective n'est pas pour encourager des enthousiasmes même juvéniles. Car, enfin, on peut échouer aux examens et ne pas arriver en temps voulu.
"Les époques où le nombre des étudiants a augmenté ont toujour correspondu à des crises économiques"
La vérité est que les époques, auxquelles le nombre des étudiants a augmenté, ont toujours correspondu à des crises économiques. On n'a qu'à se reporter, pour s'en convaincre, au règne de Louis-Philippe : le nombre des étudiants a doublé quand est survenue une crise industrielle ou commerciale. On désertait le commerce ou l'industrie pour se précipiter vers les professions libérales.
Une des conséquences de l'encombrement que nous venons de signaler et qu'il est bon de mettre en relief : d'ici peu, les locaux de la Faculté de médecine de Paris deviendront tout à fait insuffisants. Il ne faut pas se dissimuler que l'opinion publique a été très impressionnée par les récentes découvertes de l'Ecole Pastorienne et qu'elle ne s'expliquerait point qu'on ne fit pas les sacrifices nécessaires pour que le médecin soit tenu au courant des nouvelles méthodes ; pour qu'il s'instruise, dans des laboratoires spéciaux, de tout ce qui peut l'aider à faire un diagnostic précis de l'affection qu'il est appelé à traiter ; en un mot, qu'il apprenne le maniement usuel du microscope, au besoin les procédés de cultures bactériologiques afin de pouvoir lui-même, le cas échéant, se faire une opinion raisonnée sur les cas qui se présentent à son observation. Or comment pourrions-nous donner cette instruction à nos élèves autrement qu'en les réunissant par groupes peu nombreux, de 20 au plus, comme cela se praique, du reste, en Allemagne ? Alors, songez au nombre de professeurs qu'il faudra entretenir, aux dépenses considérables dont nous devons grever le budget de l'instruction ! Elle est inévitable, au surplus, mais nous devrons l'attendre encore quelque temps la solution à une pareille situation. Certes, les pouvoirs publics ont fait déjà de gros sacrifices, ils en consentiront de plus considérables si la nécessité l'exige, mais nous devons leur faire quelque temps crédit pour n'avoir point l'air d'abuser.
Quand on cherche le remède à un tel état de choses, c'est ici que la situation se complique vraiment. On ne peut songer à limiter le nombre des élèves : les facultés sont accessibles à toutes les personnes pourvues des diplômes exigés par les réglements. On ne saurait davantage empêcher les étudiants de se précipiter en masse ves Paris. C'est un courant qui ne peut être que difficilement enrayé. Pour ce qui est des étudiants, M. Henrot, le maire de Reims a fait connaître au Conseil général des facultés que certaines grandes villes, Reims entre autres, auraient prochainement une école de bactériologie où étudiants et praticiens seraient admis à faire des recherches scientifiques, que l'état actuel de la science exige.
"Il faudrait que toutes les communes dépourvues de médecin votâssent un subside pour le docteur qui viendrait s'y établir, subside qui lui assurerait de ne pas mourir de faim"
M. Henrot a exprimé l'espoir que cet exemple serait contagieux et que les étudiants, convaincus qu'ils peuvent trouver ailleurs qu'à Paris des ressources d'instruction, ne s'obstineraient pas à vouloir quand même arrêter leurs préférences sur la capitale. Il serait tout aussi utile, selon moi, de faire refluer vers la provonce le flot de docteurs, frais émoulus de la Faculté de Paris qui persistent à s'imaginer qu'ils trouveront à gagner leur pain en s'établissant dans la capitale. Que de mécomptes ils s'éviteraient s'ils consentaient à renoncer à cette décevante illusion! En province, il ya des postes relativement avantageux que nous faisons connaître par voie d'affiches et dont les jeunes docteurs, s'ils les connaissaient mieux, pourraient fort bien s'accomoder. Généralement, c'est une commune, ou un syndicat de communes, qui nous demande un médecin. Quand une proposition de ce genre nous est faite, sous la garantie d'une ou plusieurs municipalités, nous nous employons de notre mieux à y accéder. Mais il faudrait que cet usage soit plus répandu, il faudrait que toutes les communes dépourvues de médecin votâssent un subside pour le docteur qui viendrait s'y établir, subside qui lui assurerait de ne pas mourir de faim. Ce subside serait accordé en vue des soins gratuits à donner aux indigents. Une somme de 100 francs suffirait dans la plupart des cas.
"Que tous les médecins d'une région soient admis à participer au service de l'assistance médicale, nous préférerons toujours cela à un choix désigné par l'administration"
Il est bon de dire que certains départements ont pris cette initiative et il convient de les en féliciter. Dans la Seine-Inférieure, par exemple, à l'instigation du préfet, 45 doccteurs se sont fixés dans le département. Au surplus, si un traitement convenable n'était pas assuré au médecin, pourquoi ne reviendrait-on pas à une pratique en usage au siècle dernier ? A la fin du dernier siècle, il existait, en effet, dans les campagnes, dans les bourgs et dans ce qu'on appelait les bailliages, une maison destinée au médecin. Il subsiste encore une de ces maisons à Fontenay-aux-Roses et,sans doute, dans beaucoup d'autres pays. Il ne faudrait pas en inférer que nous souhaiterions l'intitution de médecins officiels; telle n'est pas notre pensée. Quand je suis allé en Allemagne avec mon collègue, le Professeur Gaucher, j'ai pu voir de très près ce que valait l'institution pour ne pas vouloir la voir s'acclimater chez nous. Que le malade indigent ait la liberté d'appeler le médecin de son choix, que tous les médecins d'un pays ou d'une région soient admis à participer au service de l'assistance médicale, nous préférerons toujours cela à un choix désigné par l'administration. Mais n'est-il pas à supposer ou à craindre que le jour viendra où le médecin, qui aura fait des études de micrographie ou de bactériologie dans un des laboratoires dont nous parlons tout-à-l'heure, qui aura reçu, pour tout dire, une instruction supérieure à celle de ses confrères, ne s'impose lui-même aux choix de l'administration ? Et vraiment, dans ce cas, on aurait quelque embarras à l'en blâmer.
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