L’explication de l’un des 130 signataires

Pr Israël Nisand : « Respect des femmes et démarche d’égalité »

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Publié le 02/06/2016
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Israël Nisand

Israël Nisand
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LE QUOTIDIEN. Vous êtes partisan de l'analyse génétique de l'embryon. Vous évoquez essentiellement deux raisons. Pouvez-vous préciser ?

PR ISRAËL NISAND. Effectivement, il y a une raison objective et une raison d'ordre général. La première se réfère à un événement désastreux survenu dans le service où je travaille en mars dernier. Nous avons effectué un diagnostic préimplantatoire de mucoviscidose pour une femme de 37,5 ans. Celui-ci était négatif, et l'embryon a donc été implanté. Malheureusement, le fœtus s'est révélé porteur d’une trisomie 21 après le dépistage effectué au premier trimestre de la grossesse. La femme a donc subi un troisième avortement, les deux précédents ayant été effectués pour mucoviscidose. Il aurait été logique de regarder cela avant l'implantation mais nous n'en avons pas le droit ! Où est la logique : on n’a pas le droit de regarder sur l’embryon ce qu’on a le droit de rechercher chez le fœtus ? D’où nous vient ce dogme installé dans la loi, qui implique qu'il est préférable de faire une IMG pour trisomie 21 plutôt que de vérifier l’absence de trisomie 21 sur les embryons réimplantés ? La considération générale est que la France est le seul pays qui n'autorise qu'une seule recherche d'anomalie sur l'embryon à implanter (sauf cas exceptionnel du « bébé-médicament »). C'est regrettable et rétrograde. C'est ignorer la souffrance des patientes. Et cette loi n'est plus discutée, les politiques sont trop timorés et la loi bioéthique n’a plus été discutée sérieusement depuis 22 ans…

Ne trouvez-vous pas que la loi actuelle sur la conservation des ovocytes crée des situations ambiguës ?

En effet, celle-ci ne peut être pratiquée en France que si la femme présente une pathologie mettant en danger risque sa fertilité. Pourquoi envoyer les femmes à l'étranger pour réaliser une procédure illégale en France, alors que la démarche est en partie remboursée ? Il faut laisser aux femmes la possibilité de faire le choix de conserver leurs gamètes, comme les hommes en ont la possibilité depuis toujours. Et ne pas imposer aux femmes de donner leurs ovules avant d'en conserver, comme cela est stipulé dans les décrets d'application de la loi écrits en 2015. Je suis en outre favorable à une indemnisation correcte des femmes donneuses d'ovules.

Est-ce pour vous une question médicale ou sociétale ?

Il faut arrêter de se réfugier derrière cette fiction d’une séparation entre ce qui est sociétal et ce qui est médical. Car toutes les situations cliniques contiennent un peu des deux. Prenons un exemple : quand une femme de 40 ans consulte pour difficultés à concevoir, est-ce médical ou sociétal ? On peut répondre « médical », car on va l'aider médicalement dans sa démarche. Mais on peut aussi dire « sociétal » si on considère qu'elle aurait pu de décider avant. Quel que soit l'exemple, le raisonnement peut être démonté. En outre, la stigmatisation à l’encontre des couples d'homosexuelles est à son comble, car on prend en charge les stérilités des hétérosexuels où il n’y a pas de sperme. Distinguer le médical et le sociétal, est un refuge de convenance pour ceux qui veulent empêcher les homosexuel.le.s d’avoir accès à la procréation.

 Le don d'ovules peut mener à la GPA ? Y êtes-vous favorable ?

Des femmes partent à l'étranger pour les GPA. C'est l'exportation de notre défaillance et de leur souffrance. Si la GPA était autorisée en France, la démarche serait égalitaire, car il faut certains moyens financiers pour se rendre à l'étranger. Il y a probablement plus d’effet pervers à continuer de tout interdire en France plutôt que d’accepter certains dossiers au cas par cas.

Vous parlez là pour les femmes stériles. Mais pour les homosexuels ?

Je pense que le sujet doit être traité au cas par cas par des comités de la parentalité. On pourrait, par exemple, accepter les demandes d'hommes quand il y a projet de coparentalité, c'est-à-dire qui concerne un couple d'hommes et un couple de femmes qui décident de faire un premier enfant pour un couple et un deuxième pour l'autre couple. Ne pas légaliser la GPA pour les stérilités utérines définitives entraîne la sollicitation de femmes étrangères qui peuvent ne pas être protégées correctement contre un réel asservissement. Ne provoquons pas ailleurs de la détresse en exportant nos souffrances sans les prendre en compte en France.

Propos recueillis par la Dr Brigitte Martin

Source : Bilan Spécialiste