Aucun médecin n’ignore le rôle du diabète de type 2 (DT2) dans la survenue de maladies cardiovasculaires et neurologiques, et à ce titre leur prévention et leur traitement figurent en bonne place dans le bilan et le suivi médical. Mais d’autres complications plus pernicieuses sont moins bien connues, dont les pathologies bucco-dentaires au premier chef.
La plaque dentaire, par défaut d’hygiène, peut adhérer à la gencive, provoquant une gingivite (gencives rouges, douloureuses, légèrement œdématiées), qui, si on ne la traite pas, va évoluer vers la maladie parodontale, liée à l’infiltration de la plaque dentaire dans l’interstice gingivodentaire. Se créent alors des poches parodontales, micro-abcès provoquant une érosion du maxillaire avec une perte osseuse irréversible et une destruction progressive des tissus de soutien de la dent, d’où un déchaussement et in fine la perte de la dent. Cette pathologie est très commune, et, selon une étude du National Health and Nutrition Examination Survey, 40 % des adultes américains seraient concernés par la maladie parodontale, et 10 % par ses formes sévères. « Des chiffres qui rejoignent nos données avec une prévalence de 40 % dans une enquête menée en 2003 parmi le personnel employé de notre université », confirme le Pr Martin Buysschaert, chef de service honoraire d’endocrinologie, diabétologie et nutrition aux cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles.
Les parodontopathies plus fréquentes et plus sévères chez les diabétiques
La maladie parodontale est encore plus fréquente chez les diabétiques. Des données de 1990-1992 retrouvaient chez les Indiens Pimas, où plus de la moitié des plus de 35 ans sont atteints de DT2, une prévalence de 60 % de parodontopathies chez les diabétiques et de 30 % chez les non-diabétiques. Non seulement sa prévalence est doublée chez les diabétiques, mais la maladie y est aussi plus sévère, et les auteurs concluaient déjà que son évaluation devait être intégrée dans le bilan d’un patient diabétique, un message qui n’est pourtant pas encore vraiment entré dans la pratique. Dans les pays occidentaux, toutes les études confirment que la prévalence de la maladie parodontale est multipliée par trois chez les DT2. On retrouve les mêmes résultats en fréquence et sévérité dans le DT1.
« Une étude observationnelle menée par notre équipe et parue dans Diabetes & Metabolism corrobore la littérature en montrant que les gingivorragies, témoins d’une maladie parodontale, sont plus fréquentes chez les diabétiques que dans une population contrôle, et que les grands délabrements dentaires, soit la perte d’au moins cinq dents, concerne 40 % des diabétiques, et seulement 15 % de la population contrôle », poursuit le diabétologue.
Cette fréquence des parodontopathies est essentiellement liée au mauvais contrôle du diabète. Ainsi dans l’étude allemande SHIP leur prévalence n’augmente qu’au-dessus de 7 % d’HbA1c. « Pour la maladie parodontale, le diabète est un cofacteur qui s’ajoute au tabagisme, autre grand responsable, à la susceptibilité génétique, au manque de calcium et de vitamine D, au stress et à l’obésité », précise le Pr Buysschaert.
Une relation bidirectionnelle entre diabète et maladie parodontale
Diverses études expérimentales et cliniques montrent qu’à son tour la maladie parodontale modérée à sévère multiplie par deux le risque de DT2. Une hypothèse étiopathogénique met en avant le rôle de l’inflammation chronique caractéristique de la maladie parodontale : elle entraîne la libération de cytokines inflammatoires qui vont générer une insulino-résistance, premier pas vers le prédiabète et le diabète. La parodontopathie contribue aussi au mauvais contrôle glycémique, aussi est-il de bonne clinique de rechercher une maladie parodontale à bas bruit devant un diabétique non équilibré malgré un traitement optimal et une bonne observance. « Toutes les méta-analyses concordent pour prouver qu’en traitant efficacement la maladie parodontale on améliore l’équilibre glycémique, avec après deux à trois mois une baisse de 0,3 à 0,4 % de l’HbA1c. On a donc tout intérêt à chercher et à traiter la maladie parodontale, d’autant que sa forme sévère est souvent associée à une pathologie cardiovasculaire, comme l’a montré l’étude Advance, et constitue un indicateur d’une potentielle maladie rénale », martèle le Pr Buysschaert.
La recherche d’une parodontopathie doit donc impérativement faire partie du bilan et du suivi de tout patient diabétique, au même titre que l’examen cardiaque ou le fond d’œil. C’est un des messages qu’appuient l’European Federation of Periodontology et l’International Diabetes Federation dans un consensus publié en 2017.
Regarder les pieds et faire ouvrir la bouche
Certes, les soins parodontaux sont mal ou non remboursés, ce qui peut constituer un frein à la prise en charge, mais on peut toujours commencer par examiner la bouche du patient, orienter son interrogatoire sur les problèmes dentaires et aborder la question de l’hygiène buccale. Tout diabétique devrait voir un dentiste au moins une fois par an avant de décider de l’éventuelle opportunité d’une consultation parodontologique. Les soins dentaires chez un diabétique impliquent un partenariat entre diabétologue et dentiste : ils doivent être réalisés avec un contrôle glycémique satisfaisant pour éviter les risques infectieux.
Entretien avec le Pr Martin Buysschaert, cliniques universitaires Saint-Luc (Bruxelles)
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