L’association Docteur clown fête ses 20 ans

Quand le rire s’invite à l’hôpital

Publié le 02/04/2015
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L'association sillonne les couloirs des services pédiatriques depuis 1995

L'association sillonne les couloirs des services pédiatriques depuis 1995
Crédit photo : Anne Gaelle Moulun

« J’ai un gros nez rouge, des traits sur les yeux, un chapeau qui bouge, un air malicieux »… Dans les couloirs du service de chirurgie uro-viscérale de l’hôpital Femme Mère-Enfant de Bron, près de Lyon, deux étranges personnages déambulent au son d’une guitare.

Lui, c’est Mercredi, le grand clown ébouriffé qui peut jouer par coeur l’intégrale des chansons de Barbie à la guitare, quand il ne se cogne pas le nez dans les portes de salles de bains. Elle, c’est Adélaïde, qui l’accompagne en chantant, ses animaux-percussions dans une main et son sac à main-arrosoir dans l’autre. De son sac à malices, elle peut sortir au choix une mini-boule à facettes, un flacon de bulles de savon, des (faux) billets d’un dollar ou l’une de ses bagues « de crâneuse » qui clignote. Tous deux font partie des 15 clowns salariés par l’association Docteur clown. Ils passent l’après-midi dans ce service pour égayer le quotidien des enfants qui y sont hospitalisés.

Dans la première chambre, deux adolescents de 14 et 15 ans sont allongés sur leurs lits. L’un est sortant, mais l’autre va se faire opérer dans moins de deux heures. Trop âgés pour rire aux blagues des clowns ? À voir… L’interprétation rock-n’roll de la comptine « Une souris verte » par Mercredi est tellement déjantée qu’elle arrache des sourires à tout le monde, parents compris. La seconde chambre accueille une fillette qui s’est fait opérer du dos. Julie*, 11 ans, adore la guitare et elle n’hésite pas à accompagner Mercredi avec l’un des hippopotames-percussions prêté par Adélaïde. Sa maman, ravie, remercie longuement les clowns. Quant au petit Mohamed, un jeune patient autiste de 7 ans, il interagit avec Adélaïde grâce aux bulles de savon qu’elle lui envoie. Avec le pied, il éclate consciencieusement les bulles, ce qui lui arrache quelques sourires de ravissement, sous le regard attendri de son père qui filme la scène avec son téléphone.

Se faire accepter par les soignants.

Dans les couloirs, les soignants eux-mêmes se dérident au passage des clowns. Cependant, il n’en a pas toujours été ainsi, comme en témoigne Mercredi, qui a commencé l’aventure dès la création de l’association, en 1995. « Quand nous avons commencé il y a vingt ans, certains médecins n’étaient pas très ouverts à nos interventions, se souvient Grégoire Rey (le vrai nom de Mercredi). Nous avons entendu des remarques du genre "on n’est pas au cirque ici, on est à l’hôpital". Ils ne se souciaient pas du tout de nous et quand ils entraient dans la chambre du patient nous avions deux secondes pour déguerpir ». Pour se faire accepter, les clowns ont dû user de pédagogie et être patients. « Nous avons dû expliquer au personnel soignant ce que nous pouvions apporter. Il a fallu nous apprivoiser mutuellement. Désormais, les médecins frappent et nous demandent l’autorisation d’entrer dans la chambre », poursuit Grégoire Rey. Pour Anne-Yvonne Daniel, qui joue le rôle du clown Adélaïde, « cette acceptation par l’ensemble du service nous aide beaucoup, car nous gaspillons moins d’énergie à convaincre les soignants et davantage à travailler avec les enfants. Mais c’est aussi à nous de nous adapter, de savoir rester à notre place, voire de partir quand on n’a pas à être là ou quand ce n’est pas le moment ».

Mais de plus en plus, les soignants vont jusqu’à solliciter les clowns lorsque la situation est délicate avec un enfant, parfois jusqu’au bloc opératoire. « On peut mesurer le chemin parcouru quand on est dans un couloir et qu’un soignant nous appelle avant de faire une prise de sang à un patient ! », souligne Grégoire Rey. Pour le Dr Pierre-Yves Rabattu, interne en chirurgie pédiatrique, « c’est une bonne chose que les clowns viennent en pédiatrie. Ils mettent une bonne ambiance dans le service et font ce que nous ne pouvons pas faire avec les enfants. En tant que médecin, on ne peut pas arriver avec un nez rouge et dire "coucou ! On va faire une perfusion !" Il est parfois difficile de faire de l’humour quand il y a des gens qui sont malades. Les clowns nous boostent grâce à leur bonne humeur ! » Il avoue ne pas avoir le temps de s’arrêter pour regarder leur spectacle, mais ne se sent pas pour autant gêné par leur présence. « Quand on a des gestes médicaux à faire ou quand on vient pour la visite, ils s’en vont. Mais grâce à eux, les enfants sont plus détendus. Ils font presque partie du service », précise le praticien. Il n’a qu’une seule réclamation : « les clowns devraient aussi faire des animations pour le personnel ! » conclut-il en souriant.

*Les prénoms des enfants ont été modifiés.
Anne-Gaëlle Moulun

Source : Le Quotidien du Médecin: 9400