PAR LE Pr ARIEL COHEN*
LES OUTILS NUMÉRIQUES de communication ont une place croissante en médecine, permettant de diffuser la connaissance, de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie et de simplifier le suivi des patients, qui peut maintenant s’appuyer sur une authentique éducation thérapeutique adaptée à leur état clinique et à sa gravité.
La cardiologie se prête particulièrement bien aux démarches autour de la télémédecine, puisqu’elle traite des affections chroniques, telles, par exemple, la maladie coronaire et l’insuffisance cardiaque pour lesquelles les mesures de prévention, essentielles mais mal suivies, le diagnostic, parfois trop tardif du fait de la méconnaissance des signes d’alerte, et le suivi, ainsi assuré essentiellement par les professionnels de santé en ambulatoire, gagneraient très certainement à être structurés et coordonnés à l’aide des outils de communication qu’offre la télémédecine.
La télémédecine, qui s’intègre à la télésanté, peut donc se définir comme le partage des informations de santé, à l’aide de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle comprend la téléconsultation, la télé-expertise, la télévigilance, le télémonitoring et la téléinformation, qui sont autant de réponses adaptées aux questions que posent ces affections chroniques et invalidantes. Les bénéfices attendus sont l’amélioration de la prise en charge, le diagnostic précoce de la maladie, à distance, le renforcement du rôle du patient, au cœur du système de santé, sa responsabilisation, le développement du travail collaboratif entre tous les professionnels de santé concernés, l’accompagnement des situations de précarité, de perte d’autonomie et la contribution à une restructuration de l’organisation des soins.
Il reste bien sûr à préciser, en fonction des situations cliniques et des circonstances, la place croissante, et essentielle qu’occupent les soins infirmiers, qui collaborent et participent à la téléconsultation au domicile, sous la forme d’un suivi adapté à la gravité de l’état clinique, mais qui s’intègrent également dans les nouvelles démarches incluses dans l’hospitalisation à domicile, qui pourraient bénéficier de façon importante de cette avancée majeure que constitue l’application du concept de télésanté.
Il n’est pas possible de décliner l’ensemble des résultats obtenus en cardiologie, s’appuyant sur les différentes démarches de télémédecine, car la littérature est particulièrement abondante, avec un nombre de croissant de publications, mais également de revues dédiées à cette démarche diagnostique et thérapeutique accompagnée, diffusées tant dans le continent nord-américain que dans les pays d’Europe du Nord en particulier. Quelques points d’actualité récente peuvent être mis en exergue, répondant à certaines questions.
Peut-on attendre de cette démarche des bénéfices économiques ?
Cette question a été envisagée par Wennbergde (1) qui a évalué 174 120 participants, âgés majoritairement de plus de 65 ans, et couverts par le système de santé Medicare aux États-Unis. Ces participants ont été classés en fonction du coût estimé de la maladie, et randomisés pour bénéficier d’un suivi individuel ou d’un suivi renforcé avec l’intervention de paramédicaux assurant l’éducation thérapeutique. Après 12 mois de suivi, le coût mensuel global moyen des soins était inférieur de 3,6 % dans le groupe de suivi renforcé comparativement à celui du groupe conventionnel, avec en particulier une réduction de 10 % du taux annuel d’hospitalisations.
Les résultats rapportés dans la littérature sont-ils univoques ?
À côté des études rapportant des résultats en faveur de la démarche de télémédecine, certaines rapportent des résultats neutres, et c’est le cas de l’étude télé-HF, présentée au dernier congrès de l’American Heart Association en novembre 2010 par S. Chaudhry (2).
L’hypothèse était que le télémonitoring pourrait réduire la survenue des décès et de réhospitalisations, en particulier pour insuffisance cardiaque. Parmi les 1 653 patients randomisés, 826 ont été suivis par télémonitoring et 827 par une prise en charge conventionnelle. L’adhésion au programme a été satisfaisante, mais a diminué avec le temps, passant de 90 à 50 % en fonction de la densité hebdomadaire des appels. Il n’y a pas eu de réduction du critère de jugement principal (52 dans chaque groupe ; p = 0,75). Il n’y a pas eu non plus de réduction des réadmissions, quelle que soit la cause, y compris l’insuffisance cardiaque, ni du taux de décès (hazard ratio : 1,94 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,91-1,19 ; p = 0,58).
Cette étude ne confirme pas les bénéfices du télémonitoring dans l’insuffisance cardiaque, mais demande évidemment à être mise en perspective avec d’autres études, qui ne seront ici que brièvement citées.
Dans le même congrès, Koehler a présenté les résultats de l’étude TIM-HF (Telemedical Interventional Monitoring in Heart Failure), dont l’objectif était de tester l’hypothèse selon laquelle la télémédecine réduirait la mortalité dans l’insuffisance cardiaque. Il s’agit d’une étude allemande dont la complexité de mise en œuvre ne sera pas décrite ici, mais dont l’objectif principal était d’évaluer le taux de mortalité total, avec également l’objectif d’évaluer des critères de jugement secondaires, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, mortalité cardio-vasculaire, durée de l’hospitalisation, taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque à 6, 12 et 24 mois et échelle de classification fonctionnelle des patients. Parmi les 710 sujets, 354 ont été inclus dans le groupe télémonitoring et 356 dans le groupe suivi conventionnel. Il n’y a pas eu de diminution du taux de mortalité, puisque le hazard ratio est à 0,97 (intervalle de confiance à 95 % ; 0,67-1,41; p = 0,87). Il n’y a pas eu non plus de réduction du critère de jugement secondaire, décès d’origine cardio-vasculaire ou hospitalisation (hazard ratio : 0,89 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,67-1,19 ; p = 0,44) ou de réduction de la durée d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou pour toute autre cause.
En revanche, une tendance amélioration de l’échelle SF36 a été observée à 12 et 24 mois. Ainsi, chez des patients ayant une insuffisance cardiaque chronique stable, suivis de façon ambulatoire, une prise en charge par télémédecine ne réduit pas le taux de mortalité ou de réhospitalisations, mais une amélioration fonctionnelle a pu être mise en évidence, au moins à moyen terme.
L’étude DIAL, étude randomisée avec intervention téléphonique chez des patients ayant une insuffisance cardiaque chronique, a été rapportée il y a un peu moins de 2 ans et les résultats ont été récemment précisés (3). Le critère de jugement principal, taux de réhospitalisations, était significativement réduit dans le groupe intervention par rapport au groupe de référence (risque relatif : 0,88 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,77-1,00 ; p = 0,5). Cela concernait tout particulièrement la réduction du taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (risque relatif : 0,72 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,60-0,87 ; p = 0,0004). En revanche, il n’y a pas eu de réduction du taux de décès, 42,9 % dans le groupe intervention téléphonique contre 40,6 % dans le groupe témoin.
Que donnent les métaanalyses ?
Une façon de synthétiser ces données parfois contradictoires, au moins dans l’insuffisance cardiaque (les données sont plus cohérentes dans le traitement à distance de l’hypertension artérielle pour le contrôle des chiffres tensionnels, ou pour l’optimisation du contrôle du diabète), est de présenter les deux métaanalyses les plus récentes sur le sujet. C. Cikleresy (4) a rapporté une première métaanalyse ayant inclus 6 258 sujets dans des études randomisées, et 2 354 dans des études de cohorte. Le taux de décès a été réduit de façon significative de 17 et 47 % (p = 0,006 et p < 0,001). Le taux d’hospitalisations a été également réduit de façon significative dans les deux types d’études, de respectivement 7 et de 48 % (p = 0,003 et p < 0,001). Enfin, une mise à jour de l’étude de la Cochrane (5) a été publiée au mois d’août dernier. Elle a évalué le suivi à distance, basé sur une intervention téléphonique, chez les patients en insuffisance cardiaque chronique. Cette méta-analyse a inclus 30 études, dont 5 publiées sous forme d’abstracts. Parmi elles, 11 concernaient le télémonitoring (2 710 patients). Le taux de mortalité globale a été réduit de 34 % (risque relatif : 0,66 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,54-0,81 ; p < 0,0001) et le taux d’hospitalisation global a été globalement réduit de façon significative de 21 % (risque relatif : 0,79 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,67-0,94 ; p = 0,008).
Et en en France ?
Il restait certes à tester cette hypothèse de pertinence de télécardiologie sur notre territoire, en s’adressant à des patients insuffisants cardiaques chroniques ou ayant une maladie coronaire (au décours d’un syndrome coronaire aigu). L’institut Cœur Effort Santé, la clinique Bizet, l’hôpital de Sarcelles et le service de cardiologie de l’hôpital Saint-Antoine se sont unis pour tester l’hypothèse selon laquelle une prise en charge délocalisée, par une infirmière télécoordinatrice, assurant le suivi et l’éducation thérapeutique, pourrait améliorer la qualité de vie, évaluée à 6 mois et 12 mois, ainsi que la satisfaction du patient et des professionnels de santé (critère de jugement principal). Les critères de jugement secondaires étaient la correction d’au moins un facteur de risque cardio-vasculaire dans la maladie coronaire et la réduction des hospitalisations pour un motif cardio-vasculaire.
L’objectif est d’inclure, sur 3 ans, 500 patients provenant de deux centres d’hospitalisation conventionnelle et de deux centres de réadaptation, et d’inclure les patients après un diagnostic éducatif ayant précisé les objectifs. Le suivi étant assuré et adapté à la classe de sévérité du patient :
– classe 1, un appel par trimestre ;
– classe 2, un appel par mois ;
– classe 3, au moins 2 appels par mois.
L’évaluation sera faite de façon indépendante et testera la performance d’une prise en charge par une infirmière téléopératrice, avec cependant l’absence de groupe témoin, mais la possibilité d’étudier des sous-groupes en fonction du type de diagnostic éducatif, de diagnostic initial, d’observance du suivi et des modalités thérapeutiques.
Quelles conclusions tirées de ces données ?
La télémédecine est une avancée significative dans le diagnostic et le suivi des patients, en particulier ayant des affections cardiologiques chroniques, telle l’insuffisance cardiaque.
Cette démarche devrait constituer une priorité pour les professionnels de santé, qui doivent l’intégrer à la prise en charge habituelle de leurs patients.
Il n’est pas établi à ce jour que cela impliquera une réduction significative du coût de la santé, mais l’objectif reste d’améliorer la qualité de vie, et pourquoi pas de réduire les événements cardio-vasculaires, en complément des traitements médicamenteux ou électriques, en particulier dans l’insuffisance cardiaque.
Ces différentes études, parfois contradictoires, ainsi que les résultats des métaanalyses, incitent à poursuivre les investigations autour de l’amélioration de critères de jugement, tels la qualité de vie, l’état fonctionnel du patient, sa thymie, et étendre les critères d’inclusion à des patients ayant une insuffisance cardiaque, sans dysfonction systolique ventriculaire gauche trop sévère. La télémédecine devrait s’adresser sous peu à l’ensemble de la pathologie cardio-vasculaire.
* Hôpital Saint-Antoine, Paris ; en collaboration avec Jean-François Thebaut, Dany Marcadet, Jean-Claude Verdier, Christian Ziccarelli, Sonia Benamara, Bérengère Couturier, Louise Boyer-Chatenet et Patrick Assyag.
(1) N Engl J Med 2010;363:1245-55.
(2) N Engl J Med 2010 ; 0.1056/NEJMoa1010029.
(3) Ferrante D, et al. J Am Coll Cardiol 2010;56:372-378.
(4) J Am Coll Cardiol 2009;54:1683-1694.
(5) Cochrane Database Review. 2010 Aug 4;(8) :CD007728.
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