« Nous avons depuis plusieurs années analysé systématiquement les composantes du micro-environnement tumoral » précise le Dr Fatima Mechta-Grigoriou. « Les cellules tumorales ne sont pas isolées et interagissent avec des cellules normales de leur environnement qu’elles détournent à leur profit ». Parmi ces cellules du micro-environnement tumoral se trouvent les cellules immunitaires que ciblent les immunothérapies afin de les stimuler, avec des résultats très impressionnants dans le mélanome métastatique et les cancers du poumon. Mais une autre catégorie de cellules, les fibroblastes, qui constituent les cellules de soutien de tous les tissus et comptent parmi le contingent cellulaire le plus important au sein de la tumeur suscitent un grand intérêt. Il s’agit de cellules non cancéreuses et dépourvues d’anomalies géniques, que les cellules cancéreuses rendent réactives et agressives.
Des fibroblastes immunosuppresseurs et prométastatiques
On a identifié plusieurs sous-types de fibroblastes dont le comportement diffère. Un de ces sous-types, les CAF (carcinoma-associated fibroblasts) peuvent être activés de façon permanente par des signaux émis par les cellules tumorales afin de mettre en sommeil le système immunitaire.Ils constituent donc potentiellement un frein à l’action de l’immunothérapie, et plus ces cellules sont nombreuses, moins la réponse thérapeutique pourrait être efficace.
Un autre sous-type de fibroblastes favorise la transformation des tumeurs in situ en forme invasive et la propagation des cellules tumorales « ouvrant la voie » à la dissémination des cellules tumorales. Dans les cancers du sein par exemple, on trouve un grand nombre de CAF dans les tumeurs triple négatifs, et plutôt les prométastatiques dans les cancers HER2.
Qu’il s’agisse des fibroblastes immunosuppressifs ou prométastiques, ils sont susceptibles de se transformer en myofibroblastes en gardant leurs propriétés de façon irréversibles tout en restant des cellules « normales ».
Deux études sur les fibroblastes immunosuppresseurs dans les tumeurs du sein et de l’ovaire ont été publiées l’an dernier. Au congrès de l'AACR, des données complémentaires ont été présentées sur ces études, avec d’autres résultats sur le rôle du micro-environnement tumoral dans le mélanome et le cancer du poumon.
Un tournant pour l’immunothérapie ?
Ces résultats pourraient avoir des débouchés à la fois sur la clinique et la thérapeutique. L’évaluation du nombre de fibroblastes immunosuppresseurs avant mise sous traitement permettrait d’orienter le choix thérapeutique, leur présence dans de fortes proportions étant susceptible d’être associée à des chances réduites de réponse à l’immunothérapie. On dispose de tous les outils techniques et méthodologiques pour rechercher ces fibroblastes immunosuppresseurs sur une biopsie. « Autre piste, le développement de molécules qui pourraient cibler ces populations cellulaires et qui combinées à l’immunothérapie permettraient de lever le frein vis-à-vis de l’action des cellules immunitaires et augmenter l’efficacité de l’immunothérapie » explique la chercheuse.
« Ce mécanisme de résistance à l’immunothérapie est un principe général qui pourrait vraisemblablement s'appliquer à tous les cancers, mais il existe d’autres marqueurs de résistance aux immunothérapies, comme le PDL1 dans le cancer du poumon et on est probablement confronté à différents mécanismes non-exclusifs de résistance ».
D’après un entretien avec le Dr Fatima Mechta-Grigoriou, Directrice de recherche à l’Institut Curie, Equipe Stress et cancer, Unité Inserm U830
« Fibroblast Heterogeneity and Immunosuppressive Environment in Human Breast Cancer », Cancer Cell. 2018 Mar 12;33(3):463-479.e10. doi: 10.1016/j.ccell.2018.01.011. Epub 2018 Feb 15.
« miR200-regulated CXCL12β promotes fibroblast heterogeneity and immunosuppression in ovarian cancers », Nature Communications. 2018 Mar 13;9(1):1056. doi: 10.1038/s41467-018-03348-z.
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