Avant de prescrire un analgésique opioïde fort pour des douleurs, il convient d'évaluer le risque de mésusage et de dépister les patients présentant une prédisposition à l'addiction.
« Certaines personnes sont plus vulnérables aux addictions que d'autres. Ces patients vulnérables traités par des antalgiques opiacés pour leur douleur physique découvrent que ces médicaments sont capables également de soulager leur douleur morale et alors, en abusent », précise le Dr Lisa Blecha (addictologue, Hôpital Paul Brousse, Villejuif). Il existe un outil simple, l'Opioid Risk Tool (ORT) qui évalue rapidement, en cinq questions, le risque potentiel d'addiction. Il permet de discriminer les patients à haut risque de ceux à bas risque de mésusage. Les cinq questions portent sur les facteurs de risque de mésusage aujourd'hui connus :
. les antécédents familiaux de troubles liés à l'abus de substances psychoactives (opiacés, cannabis, alcool), surtout chez les hommes. Chez les femmes, ce sont essentiellement, les antécédents familiaux de troubles liés à l'abus de benzodiazépines et opiacés.
. les antécédents personnels d'abus de drogues
. l'âge : les sujets âgés de 16 à 45 ans sont plus à risque
. les antécédents d'abus sexuel pendant l'enfance qui sont surtout des facteurs de risque importants chez les femmes.
. un trouble psychologique (trouble déficitaire de l'attention, TOC, maladie bipolaire, schizophrénie, dépression…).
« L'existence de facteurs de risque n'interdit pas la prescription d'opioïdes forts, mais justifie une attention et un suivi renforcés », ajoute le Dr Lisa Blecha.
Repérer le mésusage
Lors du suivi d'un patient sous traitement opioïde fort au long cours, il est recommandé de rechercher un mésusage lors de chaque renouvellement d'ordonnance. Il existe un outil pertinent pour un dépistage rapide (auto-questionnaire en 6 questions) du mésusage en cours de traitement, le Prescription Opioid Misuse Index (POMI). Il faut ainsi interroger le patient sur l'augmentation des doses d'antalgiques par rapport à ce qui a été prescrit, sur le rapprochement de deux prises de médicaments ainsi que sur le raccourcissement du délai de la consultation pour renouveler le traitement car le patient n'a plus de médicaments. « Lui demander également s'il se sent bien ou euphorique après avoir pris son antalgique et s'il lui arrive de le prendre parce qu'il est tracassé ou pour faire face à des problèmes autres que la douleur », explique le Dr Lisa Blecha. En effet, l'addiction aux analgésiques opioïdes est liée à la recherche d'effets psychotropes (euphorisant, anxiolytique, antidépresseur…) plus qu'à la persistance de la douleur « Enfin, un autre signal important est le nomadisme médical. Le patient consulte plusieurs médecins et se rend dans plusieurs officines pour se fournir en antalgiques ».
La prévention avant tout
Face à ce problème, la priorité est à la prévention. La prescription d'antalgiques opiacés peut dans certains cas être évitée. Ainsi, dans le cas de douleurs aiguës liées à un traumatisme et dans des douleurs chroniques, des moyens physiques et non médicamenteux (immobilisation, thermo ou cryothérapie, kinésithérapie, physiothérapie, rééducation…) peuvent aider à soulager le patient, permettre d'utiliser des antalgiques de palier 1 et éviter l'emploi des opioïdes. « Il en est de même dans les douleurs neuropathiques chez les diabétiques. Il a été observé que l'amélioration du contrôle glycémique par des mesures alimentaires permettait de soulager ces douleurs », explique le Dr Lisa Blecha. Lorsque la décision est prise de prescrire des antalgiques opioïdes, il faut accompagner le patient et rapprocher les rendez-vous de consultations afin de vérifier que le patient est bien soulagé sans effet euphorisant. « On peut même prendre contact avec le pharmacien pour éviter les abus. Vis-à-vis du patient, le message doit être clair : l'objectif n'est pas de supprimer totalement la douleur, mais de l'atténuer et de lui permettre de garder une certaine activité. » Quant au sevrage, il fait appel à deux grandes classes médicamenteuses : les agonistes des récepteurs opiacés (buprénorphine, buprénorphine/naloxone et méthadone) et les antagonistes des récepteurs opiacés (naltrexone). En ce qui concerne la prescription de la naltrexone, il faut faire très attention que le patient a bien supprimé sa consommation d'antalgiques opiacés. « Le tramadol et le fentanyl sont sous haute surveillance par l'ANSM. La codéine ne l'est pas encore… Cependant, nous voyons de plus en plus dans nos centres des patients qui prennent une association codéine et paracétamol, sans prescription…avec en plus un fort risque d'hépatite fulminante… », conclut le Dr Lisa Blecha.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature