D IX-NEUF ans durant, installé dans son cabinet au numéro 32 de la rue Hermel, non loin de la mairie du 18e arrondissement de Paris, le Dr Jean-Philippe Brugnaux a connu un exercice professionnel parfaitement paisible. Aucune agression, aucune violence ne sont venues perturber son cours. Et puis, le 1er janvier 2000, une jeune femme brandissant une arme blanche et hurlant qu'elle va faire la peau d'un médecin a fait irruption dans son bureau. Le Dr Brugnaux est parvenu à esquiver les coups et à la mettre en fuite.
Le 30 mai suivant, rebelote : c'est un homme en pleine crise qui force sa porte, arme à feu au poing. Une fois encore, le médecin réussit à s'en tirer, mais l'agresseur prend la fuite.
Même scénario le 16 juillet, avec un jeune homme qui lui dit avoir bénéficié d'une levée d'écrou l'avant-veille, le 14 juillet. La semaine dernière, enfin, « une jeune toxicomane fait irruption dans mon bureau, en plein après-midi, raconte l'infortuné praticien. Elle était en sevrage et a demandé que je lui prescrive un produit de substitution. Devant mon refus, elle a exigé un hypnotique. Et comme je lui opposai à nouveau une ferme fin de non recevoir, elle est entrée en transe et a saccagé mon bureau ». Le Dr Brugnaux a alors appelé ses clients au secours, dans la salle d'attente voisine. Ils sont aussitôt intervenus. La jeune femme a quitté les lieux et a pénétré dans l'immeuble voisin, où est installé le cabinet médical Jules-Joffrin. « Il y a eu des cris, au secrétariat, raconte le Dr Françoise Lecomte, l'une des associés. La police a été alertée et la toxicomane a été rapidement interpellée. »
Deux hypothèses
Ce quartier du 18e arrondissement, qui jouxte pourtant un poste de police, serait-il en proie à une brusque dégradation des conditions de sécurité depuis un an, ainsi que semblent en témoigner les expériences répétées du Dr Brugnaux ? Ou bien celui-ci serait-il en fait victime d'un phénomène dit de la loi des séries, qui n'est pas réellement significatif d'une aggravation des conditions de l'exercice médical ?
A la CSMF 75, on penche pour la première hypothèse. « Nous enregistrons des plaintes de plus en plus fréquentes de médecins exerçant dans le nord-est de la capitale, assure le Dr Bernard Huyn, président du syndicat, qui a décidé d'inscrire la question, en urgence, à l'ordre du jour de sa réunion mensuelle, ce soir. La situation s'est très nettement détériorée ces derniers mois, confie-t-il au « Quotidien ». Il dénonce en particulier la montée des phénomènes de bande.
Un constat que dresse également le Dr Bertrand Jomier, président de la commission santé des Verts, lui-même dans le 13e arrondissement. Mais il préconise le regroupement des praticiens en cabinets de groupe, car « un médecin isolé est nécessairement plus vulnérable », ainsi que la mise en place de dispositifs de contrôle d'accès au cabinet (interphones, caméras...). Alors que le Dr Huynh récuse toute mesure tendant à transformer les cabinets en bunker et dénonce, au passage, « la stratégie des maisons médicales* qui voudrait nous faire travailler derrière des barreaux et des grillages, alors que, forcément, il y a un moment où le médecin est obligé de sortir de son camp retranché ». Pour le responsable de la CSMF, « c'est l'image même du médecin et des professionnels de santé en général qu'il faut s'attacher désormais à restaurer. C'est pourquoi nous allons lancer une action d'envergure avec des pétitions pour demander aux pouvoirs publics une campagne destinée au grand public, pour en appeler au respect pour ceux qui font profession de soigner. Avant qu'un de nos confères ne soit assassiné dans l'exercice de sa profession, nous demandons, en particulier, aux candidats à l'élection (...) d'exposer des mesures pratiques pour protéger médecins et habitants contre ces agressions ».
Un message reçu cinq sur cinq par certains, tel Philippe Séguin. Le candidat RPR-UDF-DL à la mairie de Paris, contacté par « le Quotidien », lui a fait parvenir ses propositions après les agressions dont sont victimes les médecins, en l'occurrence « la création d'une force de sécurité municipale de plusieurs milliers d'agents » (voir encadré).
Pas d'alarmisme excessif
Pour autant, la sécurité des médecins est-elle vraiment en danger dans le 18e et la situation s'est-elle dégradée brutalement ces derniers mois ? Tous les praticiens ne partagent pas ce sentiment. Témoin, la voisine immédiate du Dr Brugnaux, Françoise Lecompte : « La seule agression dont j'ai été victime remonte à une vingtaine d'années, se souvient-elle ; c'était un psychotique qui voulait me tuer. Depuis, je n'ai eu aucun incident à déplorer, alors que la porte du cabinet est commandée par une simple sonnette automatique qui donne libre accès au cabinet. »
Le Dr Anne Gauthey, qui exerce depuis dix ans dans un cabinet de groupe également situé dans le 18e, porte d'Aubervilliers, n'a pas l'impression d'une subite dégradation de la situation : « Même lorsque je suis seule, tard le soir, au cabinet, confie-t-elle, je n'éprouve pas d'inquiétude particulière. »
Cette praticienne est aussi une élue : elle est maire adjointe (PS) de l'arrondissement, aux côtés du maire Daniel Vaillant, qui est aussi ministre de l'Intérieur. Et elle met en garde contre tout phénomène de récupération politique, alors que nous approchons des échéances électorales locales. « Pour autant, insiste-t-elle, je comprends très bien le ras-le-bol exprimé par Jean-Philippe Brugnaux. C'est vrai que, traditionnellement, les médecins sont une profession exposée aux agressions, avec les toxicomanes, les psychopathes ou simplement les délinquants en tout genre. Mais gardons-nous de céder à un alarmisme excessif. »
Le Dr Gauthey considère néanmoins que la question de la sécurité des médecins mérite une enquête pour apprécier la réalité des risques, selon les quartiers et les agglomérations. « Il faudrait aussi envisager une meilleure formation pour les médecins sur la toxicomanie, en s'appuyant notamment sur les réseaux existants. A cet égard, il est clair que ceux d'entre nous qui refusent d'accueillir les personnes aux conduites addictives et d'étudier la prescription de produits de substitution sont beaucoup plus exposés que ceux qui leur accordent du temps et de l'écoute. »
* Voir « le Quotidien » d'hier : « L'idée de maisons médicales fait son chemin ».
Philippe Séguin : « Ce que je ferai si je suis élu »
« Je déplore et condamne avec la dernière énergie les agressions dont ont fait l'objet les médecins, ces derniers temps, en particulier dans le 18e arrondissement, déclare au "Quotidien" Philippe Séguin, tête de liste RPR-UDF-DL à Paris. Il faut donner à ces hommes et ces femmes les moyens d'exercer dans les meilleures conditions leur métier, qu'ils font avec un dévouement exemplaire. C'est pourquoi je souhaite créer, si je suis élu maire de Paris, une force de sécurité municipale de plusieurs milliers d'agents pour renforcer et compléter l'action de la police nationale.
« Les fonctionnaires municipaux qui composeront la force de sécurité concernée seront affectés spécifiquement et durablement dans un même quartier. Ils auront vocation, au-delà de la traditionnelle mission de surveillance des équipements et espaces communaux, d'assurer une présence sur la voie publique.
« Ils assureront une présence rassurante aux heures où elle est nécessaire, c'est-à-dire la nuit. Ils permettront à la police nationale de se recentrer sur la lutte contre la criminalité et la délinquance.
« La sécurité publique serait ainsi mieux assurée. »
A Colombes : « Vos soignants sont en danger, votre santé, menacée »
Protestant après les agressions de deux médecins et d'un orthophoniste survenues ces derniers mois sur leur commune (« le Quotidien » du 9 février), environ 150 professionnels de santé de Colombes (Hauts-de-Seine) ont manifesté mardi dans les rues de la ville pour réclamer aux pouvoirs publics des moyens contre les violences dont ils sont victimes dans leur cabinet.
Médecins, kinésithérapeutes, dentistes et pharmaciens, infirmières et orthophonistes, regroupés au sein d'une amicale interprofessionnelle, ont défilé derrière une banderole proclamant : « Vos soignants sont en danger, votre santé, menacée. ».
Investissant le hall de la mairie, les manifestants ont été reçus par le maire (PCF) Dominique Frelaut, qui leur a exprimé sa « solidarité ».
Le premier magistrat a annoncé qu'il entendait proposer aux médecins de mettre à leur disposition un local sécurités, pour leur permettre d'effectuer des gardes de nuit et de week-end sans avoir à rester à leur cabinet.
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