Intox/détox

Sans infos : la diète médiatique pour sortir de l'addiction

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Publié le 04/08/2017
Sans infos

Sans infos
Crédit photo : Phanie

Fortement relayés par les médias et surtout par les réseaux sociaux, les régimes d’exclusion débordent des rayons alimentaires pour investir les modes de vie, avec les « sans-se-laver », « sans-s’habiller »… Le même scénario attire à chaque fois des foules d’adeptes : haro sur un produit, une substance, un comportement, qui empêcherait de bien vivre. Enjeu : se soigner individuellement, en dehors des chemins médicaux scientifiquement balisés. « Le Quotidien » propose un état des lieux de ces « sans-sans », en deux temps : intox/détox.

Intox aux infos ?

Angoissantes, aliénantes, sensationnalistes, stressantes, catastrophistes, bref toxiques pour la santé mentale, qu’elles soient vérifiées ou fallacieuses, consommées à heures fixes en journaux télévisés, manchettes de presse écrite, bulletins radio, ou à tout moment et en doses de plus en plus fortes, en flashes info et messages racoleurs sur les réseaux sociaux, pushes sur la toile, les infos sont absorbées comme une drogue.

« Des bonbons colorés pour notre esprit », comme le note l'auteur Rolf Dobelli, dont il devient difficile de se passer : la dépendance aux nouvelles atteint un tel niveau que toute coupure du flux d’actu génère en quelques heures et parfois en seulement quelques minutes un syndrome « fomo » : fear of missing out, peur du manque.

Quand la circulation des informations est enfin rétablie, l’addict peut basculer dans une autre peur, celle des scénarios catastrophes qui surviennent partout, à tout moment, et qui finissent par susciter un sentiment de menace dans sa propre existence. Les psychiatres décrivent les circuits de cette névrose d’info, avec ses obsessions, compulsions et autres troubles obsessionnels. Deux mâchoires se referment sur le patient surinformé : celle des nouvelles technologies qui relancent une connexion permanente avec le flux événementiel et celle des événements dramatiques que sont les attentats terroristes, les crashes économiques et les catastrophes naturelles et environnementales.

Une thérapie radicale est proposée depuis quelque temps, qui se propage sur la toile avec quantité de témoignages de ses adeptes, la diète médiatique. Cette pharmacienne responsable validation d’un laboratoire pharmaceutique lyonnais raconte comment, atteinte d’un burn-out, elle a cessé toute prise d’info du jour au lendemain : « À quoi bon savoir qu’il y a eu un braquage au tabac du coin, ou qu’un grand-père au volant a reculé sur son petit-fils ? Recevoir une mauvaise nouvelle en pleine figure quand on n’a pas l’énergie amplifie le mal-être. J’ai retrouvé la sérénité. Je n’ai plus peur quand ma fille rentre avec trois quarts d’heure de retard. »

Des coaches en tous genres proposent sur leurs blogs des diètes dont la durée va d’une semaine à un an, selon la gravité de l’intoxication. Ils militent pour le pouvoir antistress de ces sevrages : esprit plus clair, moins encombré, moindre pessimisme, diminution du stress, gain de temps pour se cultiver, indépendance accrue de jugement.

L’ouverture au monde n’en pâtirait pas : « les accrocs des infos sont souvent enfermés dans des bulles cognitives, explique François-Bernard Huygue (Observatoire géostratégique de l’information), ils s’isolent avec des gens qui pensent comme eux, et suivant qu’ils vont sur le site des Inrocks ou Boulevard Voltaire, ils s’enferment dans deux univers qui n’ont rien à voir. La diète d’info les en libère ».

Détox

« Il faut résister à cette psychologie radicale du tout ou rien, réagit le Pr Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie de Bichat, auteur des « 4 saisons de la bonne humeur » (Lattès). Elle relève d’une pensée absolutiste qui consiste à croire que si je suis en difficulté, l’exclusion d’un produit ou d’une habitude va guérir mon mal-être. Comme si l’abstinence était le gage assuré de la pureté et de la bonne santé mentale. Or, ce raisonnement binaire a ses limites, prévient l’auteur de « Overdose d’infos, guérir des névroses médiatiques » (Seuil, 2006) : si la surdose d’infos est anxiogène, elle a aussi ses effets anxiolytiques, dans la mesure où en captant l’attention de la personne sur des dangers extérieurs, elle l’empêche de focaliser sur ses propres angoisses et tumultes intérieurs. »

Plutôt que de préconiser la diète totale, le Pr Lejoyeux recommande donc une thérapie par « la mise en concurrence avec d’autres circuits d’information, ceux qui s’inscrivent dans l’intime de la personne, ses relations dans le cadre familial et professionnel. Il faut apprendre à se mettre à l’écoute des émotions positives. La méditation, la musique, le meilleur soin du corps, la relaxation, le sport, voilà autant de réponses bénéfiques à l’overdose d’info. » Somme toute, plutôt que l’écoute des dernières nouvelles chaotiques du monde, la musique de Mozart apporterait une antidote à prescrire sans réserve aux patients atteints d’overdose médiatique.


Source : lequotidiendumedecin.fr