Le poids économique de la dépression

Surtout des coûts indirects

Publié le 14/03/2012
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Crédit photo : dr

LA DÉPRESSION peut être considérée comme une morbidité mentale majeure dans un monde devenu extrêmement, et probablement trop, complexe, surtout au cours des cinquante dernières années. Cette complexité est maintenant devenue une source première de vulnérabilité. En effet, l’informatique et l’électronique ont rendu notre monde très rapide, les événements s’y succèdent en cascade et les erreurs sont difficiles à rattraper, autant de causes de stress incontrôlable. C’est également un monde de compétition permanente, instable, dans lequel il est facile de perdre son travail, un monde quantique où l’aléa remet tout en cause, et ce à tout moment de manière imprévisible et imprévue. Dans le cadre d’une carrière professionnelle, ou de la vie affective, cela peut être une cause de ruine sociale, parfois définitive. Enfin, notre référentiel passé, stocké dans notre cerveau, n’est pas adapté ou n’est plus adapté à ce monde qui va et échappe à toute vitesse. L’environnement devient hostile parce qu’il est désormais nécessaire de pouvoir maîtriser constamment un terrain instable privé de sécurité, surtout dans le monde du travail. Le désarroi parfois l’emporte, et la dépression suit.

Un enjeu sociétal particulièrement sensible

La santé mentale est devenue un véritable enjeu dans notre société, alors que la dépression devient une pathologie majeure du comportement. C’est aussi un sujet éthiquement très sensible et mal documenté qui entraîne une appréciation différente de la normalité, une perte de reconnaissance sociale, voire l’exclusion. Il s’en suit, par peur, la négation de nombreux patients et leur refus d’accepter un diagnostic de dépression.

La dépression devient ainsi une pathologie quasiment contagieuse et économiquement destructrice dans le monde moderne. Cette maladie représente un véritable problème sociétal, parce qu’elle a un impact sur la structure même de la société, ce qui, à son tour, modifie le comportement de tous les individus.

Par ailleurs, en dehors de facteurs environnementaux, le risque de dépression dépendrait également de certains facteurs génétiques agissant comme des facteurs de vulnérabilité. Cependant, force de reconnaître à ce jour, qu’il n’existe pas de corrélation claire entre le génotype et le phénotype de la maladie. Du point de vue génétique, la relation ne se trouverait pas dans le génome lui-même, mais dans sa transcription qui elle est influençable. Cette imbrication de facteurs environnementaux et génétiques multiples rend extrêmement difficile la modélisation de la maladie comme celle de son traitement.

Des données trop fragmentaires

La prévalence de la dépression serait de 10 % à 15 %, dont environ 5 % de dépressions sévères. Dans le milieu carcéral, cette prévalence est de 30 % et elle monte à 50 % chez les personnes sans domicile. Est-ce que ces derniers étaient déjà dépressifs ou le sont-ils devenus en perdant leur liberté, leur emploi ou leur logement ? Concrètement, on dénombre 160 000 tentatives de suicide et 10 000 suicides réussis par an en France. Parmi ces derniers, 60 % seulement sont reconnus comme déprimés sévères.

Les données précises sur les coûts directs et indirects de la dépression sont limitées. Aux États-Unis, les coûts globaux, en milliard de dollars, liés à la dépression sont de 44 versus 104 pour le cancer, 66 pour le sida et 43 pour les maladies cardio-vasculaires. Mais, comme partout dans le monde, le poids en revient surtout aux coûts indirects, 80 % environ, contre seulement 20 % pour les coûts directs. La France est le premier consommateur de médicaments en Europe, notamment en termes de psychotropes. Cependant, les données de la Caisse nationale de l’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) montrent que, si l’on considère parmi les psychotropes uniquement les antidépresseurs et les anxiolytiques, les coûts générés par la consommation de ces médicaments sont plus importants respectivement, en Espagne et en Italie.

Les données Medic’AM Ameli montrent qu’en 2009, l’enveloppe du remboursement des antidépresseurs par la CNAM était estimée entre 506 et 702 millions d’euros. Mais, comme aux États-Unis, la charge économique liée à la dépression vient surtout des coûts indirects. Ainsi, globalement, les coûts directs (médecins + soins) de la dépression en France sont estimés à 3 milliards d’euros et les coûts indirects à 10 milliards. Les coûts indirects incluent les suicides, les indemnités journalières, la baisse de la productivité ou de la qualité du travail, la perte de compétitivité, etc.

Cependant, les données disponibles dans notre pays ne sont ni exhaustives, ni précises, d’où la nécessité d’obtenir des données chiffrées et de mettre en place des mesures adaptées pour prévenir et prendre en charge de façon concertée cette maladie, sujet majeure pour l’économie nationale tout en étant un domaine éthiquement très sensible.

Améliorer l’analyse sémiologique et l’écoute

Pour diminuer les coûts indirects liés à la dépression, l’amélioration du diagnostic, par une analyse attentive de la symptomatologie et la qualité de l’écoute, devrait permettre une prise en charge adaptée. Or, si certains patients ne relèvent pas d’une prise en charge pharmacologique, nombreux sont les sujets souffrant d’authentique dépression qui ne bénéficient d’aucun traitement, sans que l’on sache si cela correspond à une hésitation thérapeutique.

Mais, dès lors qu’un traitement antidépresseur est indiqué, il faut, qu’il soit prescrit suffisamment longtemps pour éviter les récidives et que, dans tous les cas, le sevrage soit réalisé de façon progressive.

Enfin, une meilleure information des médecins généralistes, qui à juste titre prennent en charge la très grande majorité des patients présentant un syndrome dépressif, peut contribuer à diminuer les coûts globaux de cette maladie, en améliorant sensiblement la précocité du diagnostic comme celle du traitement le plus approprié.

D’après la présentation du Pr François Lhoste, Université Paris Descartes à l’occasion du Forum sur la dépression organisé par le Quotidien du Médecin avec le soutien institutionnel des laboraoires Lundbeck

Dr Jésus Cardenas

Source : Le Quotidien du Médecin: 9098