« Trop d’organisations tue l’organisation ». Cette phrase du Dr Franck Devulder, gastro-entérologue à Reims et président de la CSMF, résume assez fidèlement l’état d’esprit des acteurs de la santé réunis à l’invitation de l’Université du changement en médecine (UC2M) fin mai. GHT, CPTS, Sisa, Dac… : l’empilement actuel des structures de santé territoriales donne une sensation de maquis dans lequel il est difficile de retrouver son chemin. Même pour un médecin généraliste et syndicaliste aguerri, le Dr Luc Duquesnel, lui-même partie prenante dans un grand nombre de ces structures représentatives à Mayenne et ses environs, son territoire d’activité. Il est en effet co-coordinateur d’une Sisa (société interprofessionnelle de soins ambulatoires) et d’une CPTS (communauté professionnelle territoriale de santé) mais aussi directeur médical de l’association de permanence des soins.
« Si on s’occupe de toutes ces structures, on manque de temps ensuite pour exercer la médecine libérale, ça devient trop complexe, on y passe trop de temps ! », témoigne le président des généralistes de la CSMF. Et le soutien des ARS sur le terrain n’est pas toujours effectif, comme en témoigne le Dr Devulder : « Dans les environs d’Amiens, en tant que médecins spécialistes, nous faisons des consultations avancées à nos frais : nous payons les transports, les locaux, etc. Comment se fait-il que l’ARS ne nous soutienne pas davantage alors qu’il s’agit de l’accès aux soins ? J’entends le ministre de la Santé répéter sans arrêt deux mots-clés : "boite à outils" et "territoire". Chiche, mais allons-y vraiment ! ».
États généraux
Organiser oui, mais à quel niveau ? La question de l’échelon (région/département/commune) idéal pour une médecine de territoire nourrit le débat. « Le tout est de savoir quel est le bon territoire pour telle ou telle organisation. Au niveau collectif, on n’a pas tiré les bonnes conclusions de la crise sanitaire ! Je pense que le bon maillon, c’est le département. Les centres Covid se sont mis en place en huit jours et ont maillé le territoire avec efficacité ; les GHT aussi fonctionnent au niveau départemental, même si la représentation libérale n’y est pas parfaitement organisée… », indique le Dr Duquesnel.
De son côté, Dominique Jakovenko, infirmier libéral et référent « article 51 » (les expérimentations d'innovation en santé) en Occitanie plaide pour davantage de coordination entre tous ces échelons et ces structures. « Déjà, il fallait que les CPTS se coordonnent entre elles pour avoir des projets de santé communs et cohérents, en lien avec le centre hospitalier. Maintenant, il faut rajouter aussi les Dac [dispositifs d’appui à la coordination, dont l’objectif est de fluidifier les parcours de santé complexes], qui mettent beaucoup de temps à s’installer…. C’est un énorme chantier », souligne-t-il. Sur son territoire, des états généraux de la santé viennent d’être lancés par le maire d’Aix-en-Provence, avec les mêmes professionnels de santé qui avaient monté les centres Covid.
Usine à gaz
« La proposition de loi Valletoux (lire ci-contre) pose cette question : comment faire pour que l’organisation d’une médecine de territoire ne devienne pas une usine à gaz ? » pointe le Dr Duquesnel. Parmi les mesures envisagées pour améliorer l’accès aux soins, la question d’une adhésion automatique des professionnels de santé aux CPTS est au centre des crispations. Sébastien Delescluse, le directeur général adjoint de l’ARS Normandie prône la souplesse. « Je ne suis pas un ayatollah de la bonne organisation. Il ne faut pas qu’on s’enferme absolument dans un modèle descendant. Il faut une certaine souplesse et s’adapter aux territoires. C’est à nous de faire preuve d’agilité pour soutenir les dynamiques locales », estime-t-il.
Plus concrètement, le Dr Devulder souligne que la CSMF ne s’oppose pas à l’ensemble du contenu de la PPL Valletoux mais que son syndicat est résolument hostile à la coercition. « Sur la permanence des soins, regardons ce qu’il s’est passé : laissons à chaque territoire le soin de définir ses propres règles. Contraindre tous les professionnels de santé d’un territoire à prendre part à la CPTS et à la PDS ne fonctionnera pas ».
De son côté, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) donne un point de vue nuancé. « Lorsque les CPTS ont été créées, je les ai accueillies comme un syndicat d’initiative de la santé d’un territoire, c’était une bonne idée. La loi Valletoux nous propose de les remplacer par des offices de tourisme avec un pilotage étatique. C’est dommage pour les CPTS qui fonctionnent bien aujourd’hui, mais probablement nécessaire dans les territoires où il n’y a pas encore de CPTS en place…Comment sauver le soldat CPTS actuel en remplissant les trous sur la moitié du territoire ou il n’y en a pas encore ? C’est tout l’enjeu aujourd’hui ».
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