Si « Le Généraliste » était paru en 1924

Termes scientifiques : souvent absurdes, mal formés ou équivoques

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Publié le 27/07/2016
Histoire

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Il vous semble que si vous dites : « La jeune fille habite la maison », vous émettez des sons articulés fort clairs et compréhensibles pour toute personne de votre langue.

Cela n’est vrai que partiellement. Un bourgeois de l’époque de Philippe-Auguste vous comprendrait à peine, et votre phrase, claire au XXe siècle, ne l’aurait pas été au XIIe et ne le sera plus au XXXe.

Ce bourgeois fut-il le plus honnête de son temps – aurait dit : « La garse habite le bourdel ». Et cette phrase qui heurte vos oreilles et choque votre éducation signifie pourtant identiquement : « La jeune fille habite la maison ». À cette époque, en effet, garce était, sans plus, le féminin de garçon. Burdel désignait le logis et il a fallu détourner le vrai sens de ces deux mots pour que la phrase de notre bourgeois arrive à devenir, après des siècles, libre, sinon grossière.

Tout ce que nous disons des termes usuels est vrai des termes scientifiques. Ceux-ci, pour la grosse majorité, sont de formation récente. Ils sont venus, peu à peu, remplacer les mots populaires pour deux raisons principales.

D’abord, un certain nombre de mots populaires (dont ceux que nous venons de citer) sont devenus (pourquoi ?) malsonnants. Ils ne l’étaient point il y a quelques siècles, et c’est une erreur de considérer Rabelais comme un écrivain grossier et brutal. Rabelais était, au plus, gaulois : son vocabulaire ne choquait point ses contemporains, pour ce seul fait que ce vocabulaire n’était pas encore contaminé par des idées péjoratives surajoutées.

Pour tout ce qui concerne en particulier la dénomination des organes sexuels, cette remarque est valable. Nous n’en voulons qu’une preuve : le traducteur d’un des livres les plus graves de la science du Moyen Âge – nous voulons parler de la « Chirurgie » de maître Henri de Mondeville -, ne trouve pour désigner les organes sexuels que des expressions devenues, de nos jours, parfaitement ordurières : trois lettres lui suffisent pour désigner l’organe mâle, trois lettres aussi pour l’organe femelle et trois lettres encore pour l’anus. Et ces termes ne choquaient pas plus que, de nos jours, les mots anatomiques.

La dénomination des instruments de chirurgie était également empruntée au vocabulaire populaire : le chirurgien se servait de tenailles, de turquoises, de pinces, et ces instruments empruntaient leurs noms et souvent aussi leur forme aux divers outils des charpentiers, maçons, ou maréchaux-ferrants.

La seconde raison qui obligea à créer des noms scientifiques est – à côté de la vulgarisation de certains termes – l’obligation d’exprimer des idées neuves, des maladies nouvellement découvertes, des instruments récemment inventés.

Ces mots nouveaux, il faut bien l’avouer, sont pour un quart absurdes, pour un quart mal formés d’un mélange de grec et de latin, pour le troisième quart équivoques en leur signification, et, pour le dernier quart, acceptables.

Entre toutes les sciences, la médecine est, avec l’histoire naturelle, la science qui a le plus abusé de ces mots barbares et sans euphonie. Les sciences naturelles ont une excuse que la médecine n’a point : elles doivent, par définition, classer, et classer encore et toujours. Leur vocabulaire peut être grotesque, il n’est jamais inutile.

Une phrase pour susciter l'admiration de sa cuisinère

De la médecine, on ne peut pas dire la même chose : pour quoi « thalassothérapie » plutôt que « cure marine » Pourquoi « pternalgie » alors que nous avons « talalgie », qui n’est déjà guère aimable ? Pourquoi « acrochordon » pour « molluscum », et pourquoi « molluscum » pour verrue ? Et que dites-vous de cette jolie petite phrase que j’ai composée pour susciter l’admiration de ma cuisinière :

« La xanthomatose de cet hypermacroskèle platyrhinien est la conséquence d’un acathectisme hépatique dentéropathique, et la corrugation scrotale du malade provient d’une myélodysplasie qui se traduit en outre par une gérodermie génito-dystrophique, ce qui n’explique pas d’ailleurs ni l’oestromanie, ni l’oligodipsie de ce thanathophobe ».

Par les soirées d’hiver, je recommande à mes confrères de petits passe-temps de ce genre. Les uns pourront composer, les autres traduire.

Il serait à souhaiter que le corps médical usât avec plus de modération de termes neuf fois sur dix incompréhensibles, ou à peine compris des seuls spécialistes, surtout lorsque ces termes font double emploi avec des expressions usuelles et claires.

Nous avons eu sous les yeux une ordonnance qui, entre autres préparations bizarres, prescrivait au malade l’usage du « Specificum Paracelsi ». Incertain d’être intelligible pour le pharmacien, notre mystérieux confrère avait ajouté entre parenthèses SO4 Na2. Ça va mieux !

Un autre jour, une malade nous dit :

- Docteur, le seul médicament qui m’ait réussi est le sirop de Qui.

- ???

- Vous ne connaissez pas le sirop de Qui ? C’est si connu !

Après un instant de réflexion, je lui ai formulé du sirop de Qui :

KI………………. 15 grammes

Sp…………..... 300 grammes

Et la malade fut contente !

Ne soyons donc pas trop mystérieux : un peu de mystère est utile, mais, en nos siècles d’incrédulité, beaucoup de mystère risque tout simplement de nous rendre ridicules.

Et puis, il est tout de même utile de s’entendre car, si le voisin ne nous comprend pas, il nous jouera le tour d’être pour nous incompréhensible.

Et dire qu’il y a eu jadis un grand benêt pour affirmer avec toute l’autorité d’une archaïque cervelle : « Ce que l’on conçoit bien… »

S’il renaissait en notre monde, il s’empresserait, plein de honte rétrospective, de rayer cette phrase de ses œuvres complètes, puis, vite, rentrerait sous terre, rempli d’« éreutophobie ».

(M. Boutarel, « Paris Médical », 1924)


Source : lequotidiendumedecin.fr