Je vais m'étendre sur quelques épidémies en particulier, ne parlant absolument que de celles dont j'ai été témoin depuis que j'exerce la médecine thermale. Je me bornerai donc à mentionner la rougeole, la scarlatine, la variole, la dysenterie, la fièvre typhoïde et le choléra.
La rougeole
Dans les stations fréquentées par beaucoup d'enfants, la rougeole prend quelquefois la forme épidémique. Au point de vue qui nous occupe actuellement, cette maladie est d'une nature peu diffusable, elle ne se transmet qu'à une petite distance ; l'histoire de l'épidémie observée par le Dr Panum dans les îles Féroé et les heureux effets de l'isolement prouvent qu'on peut en quelque sorte diriger l'élément contagieux, et, tout en faisant la part du feu, préserver jusqu'à un certain point les individus sains.
D'un autre côté, il s'agit là d'une affection d'allure le plus souvent bénigne, à laquelle peu de personnes peuvent se flatter d'échapper. Nous pouvons donc conclure de ces principes que, si l'affection ne présente pas un caractère grave, il faut ne pas s'en inquiéter outre mesure, et n'en parler que lorsque les clients eux-mêmes nous posent des questions à ce sujet.
La scarlatine
Ici, la question de contagion devient bien plus importante. La scarlatine peut être fort grave ; dans certains pays, en Angleterre par exemple, elle sévit avec intensité ; et on la redoute tant en Belgique que le médecin du roi ne doit pas soigner un scarlatineux clans sa clientèle. La matière contagieuse de la scarlatine est très tenace, elle peut être transportée à de grandes distances, des objets inanimés peuvent la communiquer ; ici le médecin doit se tenir sur le qui-vive, et avertir au besoin maître d'hôtel et clients, sans se laisser arrêter par d'autres considérations que celles tirées de la forme et de la nature de l'épidémie.
La variole
Ce que je viens de dire de la diffusibilité de la scarlatine, de la ténacité du contage, s'applique aussi à la variole. Il est vrai qu'elle peut être de nature non maligne, mais n'oublions pas cependant, Messieurs, que la forme la plus bénigne de la maladie peut-être le point de départ d'une vraie variole, quelquefois discrète, mais d'autres fois aussi confluente et même hémorragique.
Nous devons donc prévenir nos clients et leurs propriétaires, nous informer si tout le personnel de la maison a été vacciné et revacciné, prescrire l'isolement le plus absolu et tenir le convalescent dan s une sorte de quarantaine, qui lui permette de ne se faire voir aux étrangers que lorsque toute crainte de possibilité de contagion aura disparu.
La dysenterie
Rarement grave dans nos climats, elle peut, jusqu'à un certain point, être tenue secrète sans grand inconvénient. Les précautions hygiéniques et la désinfection minutieuse des verres et des objets servant aux malades peuvent suffire, sans qu'il soit nécessaire d'ébruiter l'épidémie. Rappelons-nous aussi que ce nom de dysenterie, qui pour nous correspond à une entérite d'une forme particulière, est souvent dans le public le synonyme de la simple diarrhée. Ce vocable qu'on lui ferait connaître avec sa véritable signification ne servirait qu'à exciter inutilement ses craintes et peut-être même à lui faire dépasser les bornes où nous voudrions circonscrire la publicité de l'épidémie dont il s'agit, en lui inspirant une inquiétude qui ne serait nullement justifiée.
La fièvre typhoïde
La fièvre typhoïde, dont la nature contagieuse est jusqu'à un certain point mise hors de doute, sa transmission probable par l'eau prise en boisson nous impose une grande prudence, et nous oblige impérieusement à remonter à l'origine de l'épidémie, de façon à nous opposer à sa propagation. Il est donc de toute nécessité d'avertir le propriétaire de la maison où existe l'affection dont je parle, de se rendre compte par soi-même de la disposition des fosses d'aisance, et des terrains que traverse l'eau qui sert à la boisson de la maison, de s'assurer s'il ne se trouve pas quelque infiltration souterraine émanant d'une fosse mal étanche, ou d'un réservoir d'eaux souillées d'une manière quelconque.
Les intéressantes observations qui ont été publiées dans ces dernières années sur l'origine de certaines épidémies de fièvre typhoïde, la disparition de cette maladie de la ville de Vienne par la rigoureuse observance des lois de l'hygiène, nous imposent, à nous autres médecins hydrologues, une très grande rigueur dans les recherches concernant l'étiologie et la prophylaxie de l'épidémie en question.
Le choléra
Je termine cette communication par la plus redoutable des épidémies que nous ayons à combattre, et surtout à prévenir comme importation, je veux parler du choléra. L'épidémie peut être apportée dans un établissement d'eaux minérales, et s'y développer avec intensité ou s'y éteindre instantanément. Car nous savons que bien des stations thermales ont, à l'égard du choléra, des espèces de lettres de noblesse, et se vantent d'une immunité absolue à l'égard de ce fléau, prétendant que leurs eaux établissent entre les stations environnantes et l'épidémie une sorte de cordon sanitaire infranchissable pour le choléra.
Mais supposons qu'il ne s'agisse pas ici d'une ville d'eaux privilégiée, et que l'épidémie apportée par des personnes venues de pays infectés rencontre dans la station même un terrain favorable à son développement ; quelles sont les mesures à prendre vis-à-vis des étrangers baigneurs, et des gens venant du dehors et dans des conditions suspectes, avant que le fléau ne s'installe dans la ville ? Car une fois qu'il est déclaré, du moment qu'un seul cas s'est montré, les baigneurs s'enfuient affolés, et le médecin des eaux rentre dans la catégorie de ses confrères en médecine générale.
N'y a-t-il pas à prendre des précautions préventives ? Ne devons-nous pas nous entendre avec les autorités locales et administratives, et prendre de concert avec elles les mesures les plus propres à prévenir l'invasion de la maladie ? Faut-il faire la quarantaine aux personnes arrivant du pays occupé par le fléau, les soumettre ainsi que les objets leur appartenant à des procédés de désinfection et leur faire subir des visites quotidiennes ? En tout cas, je crois que là doit se borner notre rôle. Quant à avertir les logeurs en garni et les maîtres d'hôtel du risque qu'ils courent en recevant ces étrangers, je crois que ceci n'est plus dans notre sphère, et qu'il faut laisser à la rumeur publique le soin d'indiquer la provenance de ces nouveaux hôtes. Veuillez à cet égard, Messieurs, me dire votre avis ; je serais bien aise de savoir si vous avez quelque réflexion à émettre concernant ce sujet.
Je me borne aujourd'hui à cet aperçu déontologique de l'énorme question des épidémies aux stations thermales, et je souhaite que chacun de vous, qui aura été le témoin de quelque épidémie dans la ville où il exerce, vienne nous apporter son opinion sur ce qu'il croit le mieux à faire dans les circonstances que j'ai eu l'honneur d'exposer. J'ai cru à propos d'insister sur les mesures générales utiles, et sur les ménagements à concilier avec ces mesures, vis-à-vis du public et de nos confrères.
Cette double considération, qui doit toujours être présente à notre esprit, est assez importante pour que je me sois permis de vous soumettre des doutes et des incertitudes que le concours éclairé de votre expérience peut dissiper ou faire disparaître, en rendant cette discussion aussi utile pour moi que fructueuse pour tous nos collègues en hydrologie.
(Communication du Dr Émile Tillot, médecin à Luxeuil-les-Bains, au cours du Congrès d'hydrologie de Paris, janvier 1889)
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