Si « Le Généraliste » était paru en juin 1910

Un chapelet d’anecdotes sur Péan, ce grand chirurgien

Publié le 19/06/2015

« Péan opérait un jour chez des commerçants très enrichis. Le gendre du malade, personnage titré, ganté, musqué, tournait autour du chirurgien, faisant son important. En homme érudit qui a pioché sa question, il développait son opinion sur le cas de son beau-père. Il s’agissait d’une fistule à l’anus. Pendant un certain temps, Péan écouta, un peu dédaigneux, le bavard. À la fin, exaspéré, il l’interrompt. “ Mon bon monsieur, dit-il, trempez donc votre doigt dans ce pot de vaseline ; ensuite, vous allez l’introduire dans l’anus de monsieur votre parent. Vous saurez ainsi ce qu’est une fistule. ” Le personnage, qui n’était pas tout à fait un imbécile, comprit qu’on le jouait et, sans mot dire, il s’éclipsa.

Péan aimait à répéter cette anecdote où il avait joué le beau rôle. Un jour, une femme fort riche, dont l’état nécessitait une opération longue et difficile, réclama ses soins. Péan fixa le prix ordinaire. Mais la vieille femme, fort avare, trouvait la rémunération exagérée. Le chirurgien ne transigea pas. Bref, l’opération décidée, quand la malade, au début de la chloroformisation, commença à parler avec loquacité dans la plus complète inconscience, elle s’épancha en des appréciations plutôt désobligeantes sur la cupidité du chirurgien. Les aides souriaient. Péan, impassible, opérait toujours. “ Et je l’ai guérie par vengeance ”, ajoutait-il avec un ironique sourire.

Un exotique demandait un jour à Péan ce qu’il pensait de l’influence du microscope et des études histologiques sur l’avenir de la chirurgie. Et Péan, de répondre sans rire : “ Le microscope, sacrédienne, mon bon ami ne m’en parlez pas, j’en raffole. Je suis donc bien trop partial pour pouvoir vous en parler avec sincérité. ” Peut-on éluder une question délicate avec plus d’adresse.

Le cerveau toujours hanté par des préoccupations de toutes sortes, Péan avait parfois certaines distractions de langage ou certaines réponses d’une franchise un peu brutale. Demandant un jour à une jeune et jolie femme, qu’il fallait opérer, si elle avait une éponge bien propre, celle-ci lui répondit naïvement qu’elle avait une grosse éponge très propre puisqu’elle lui servait pour la figure. “ Mais alors, madame, votre éponge n’est pas propre si vous vous en servez pour vous débarbouiller.” Inutile d’ajouter que ceci se passait bien avant l’ère de l’antisepsie.

Un jour, s’entretenant avec un confrère de la ville au sujet d’un futur rendez-vous, Péan lui proposa l’heure de midi. Le confrère, quelque peu embarrassé, avait l’air d’hésiter à accepter cette heure. Comme Péan lui demandait en quoi elle le gênait : “ C’est que c’est l’heure de mon déjeuner ”, répondit le confrère. “ C’est juste, répartit le maître, c’est que vous déjeunez, vous ! ”.

Le mot de la fin, nous le trouvons dans les “Annales politiques et littéraires ”. Au début de sa carrière, Péan avait été, un jour, appelé comme médecin pour un duel. L’un des deux adversaires manquait de crânerie au point qu’arrivé sur le terrain il se mit à trembler de tous ses membres. Ses témoins essayèrent de le remonter un peu mais, au premier engagement, il lâcha son arme, fit volte-face et déguerpit à toutes jambes. Les quatre témoins, l’adversaire restant et le jeune médecin se regardèrent moitié riants, moitié déconfits. “ Je connais le mal dont a été pris subitement ce pauvre garçon ”, fit gravement Péan. Et, prenant son crayon et son carnet, il rédigea aussitôt, sans sourciller, le procès-verbal suivant ; “ Au premier engagement, M. X. ayant été atteint d’une crise de tachypodie irrépressible, les témoins d’accord avec le médecin, ont arrêté le combat ”. Ainsi, l’honneur était presque sauf car on connaît peu le grec de médecine et tout le monde fut content. »

(La Chronique médicale, 1910)

Source : lequotidiendumedecin.fr