Dépression et maladies chroniques

Un retentissement néfaste sur le pronostic vital

Publié le 21/06/2012
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QUE LA DÉPRESSION ait mené à la maladie chronique ou la maladie chronique à la dépression, les conséquences portent à la fois sur des modifications psychologiques, biologiques, physiologiques, comportementales et sociales. Une relation réciproque délétère s’établit entre les deux processus avec une altération du fonctionnement, une aggravation du handicap, une diminution de l’accès et de l’adhésion aux soins, une aggravation de l’évolution, une augmentation de la morbidité et de la mortalité et un coût socio-économique important.

Être attentif aux symptômes psychiques.

Chez les patients atteints d’affections somatiques, la maladie dépressive est souvent méconnue ou peu prise en compte, l’accès aux soins étant d’autant plus difficile que l’attention des soignants est focalisée sur d’autres problématiques. La dépression favorise l’aggravation ou la chronicisation de la maladie physique, elle majore le handicap socio-professionnel et est à l’origine de ruptures de soins, voire de conduites suicidaires (parasuicide des anglo-saxons). Si le lien entre dépression et maladie somatique peut n’être, mais rarement, qu’une coïncidence, la dépression est plus souvent une conséquence de la maladie physique, les causalités étant souvent intriquées. Il peut s’agir de conséquence somatique directe par l’intermédiaire de perturbations biologiques comme dans les dépressions associées aux maladies du système nerveux central (AVC, Parkinson…) ou aux endocrinopathies. La iatrogénie de certaines thérapeutiques telles que les corticoïdes ou l’interféron, est bien identifiée. Il peut également s’agir de dépressions réactionnelles aux conséquences de la maladie et aux aléas de son évolution.

Il n’est pas toujours facile d’identifier une dépression chez des sujets atteints de maladie somatique. Chez ces derniers, qui sont généralement plus âgés, la dépression peut paraître moins sévère, les antécédents personnels et familiaux sont moins riches et le sexe ratio est proche de 1.

Les symptômes psychiques sont beaucoup plus discriminants. L’attention doit donc porter sur les ruminations, l’irritabilité, la culpabilité, le désintérêt et le désinvestissement dans les soins et les idées suicidaires. Certains symptômes confondants tels que la fatigue, les troubles du sommeil, l’anorexie et la perte de poids posent problème dans le cadre d’une affection somatique. Toutefois leur importance est primordiale car, associés à une tendance à l’isolement et à un relâchement de la présentation, ils résument parfois l’ensemble de la symptomatologie dépressive.

Maladie cardiovasculaire et dépression multiplient par 4 le risque de décès.

Des études prospectives menées sur le long terme ont montré que la dépression était associée au développement des maladies cardiovasculaires, indépendamment des facteurs de risque spécifiques tels que l’alimentation, le tabagisme, la sédentarité, l’obésité, l’hypertension artérielle… Mais, qu’en est-il de l’impact de l’association dépression-MCV sur le risque de décès ? Une étude récente réalisée dans le cadre de la cohorte Whitehall 2 démontre clairement que ces deux facteurs se potentialisent et augmentent considérablement le risque de décès lorsqu’ils sont associés. Au total, 5 936 fonctionnaires britanniques âgés en moyenne de 61 ans ont été suivis pendant 5 ans. L’étude a comparé le risque de décès chez des sujets en bonne santé, chez des sujets associant symptômes dépressifs et pathologie cardiaque et chez des sujets présentant une seule de ces pathologies. Comparativement aux sujets en bonne santé, le risque de décès toutes causes confondues était multiplié par près de trois en cas de MCV associée à une dépression, par un peu plus d’une fois et demie en cas de syndrome dépressif seul et n’était que très peu différent chez les sujets ayant une MCV isolée. Concernant les décès par MCV – et toujours comparativement aux sujets en bonne santé – le risque relatif était près de 4 fois supérieur en cas d’association MCV et dépression et près de 2,5 fois supérieur en cas de syndrome dépressif.

Cette association est un facteur de dégradation de la qualité de vie. Elle est responsable d’une mauvaise observance thérapeutique et d’un non-respect des règles hygiéno-diététiques, d’une réduction de l’activité physique et du maintien de certaines conduites abusives (alcool, tabac).

En conclusion, les données de la littérature sur les liens et l’aggravation réciproque de la dépression et des maladies somatiques sont solides. Elles font aussi état de l’intérêt des psychothérapies et/ou des traitements antidépresseurs lorsqu’une dépression s’intègre dans une maladie somatique. De nombreuses difficultés restent à surmonter pour identifier les maladies somatiques chez les sujets déprimés et les troubles dépressifs chez les sujets souffrant de maladie chronique, de même que pour offrir une prise en charge adéquate. Les politiques d’information et de formation doivent être favorisées et adressées en priorité au médecin généraliste, qui est en première position dans cette approche globale, mais également à tous les intervenants : psychiatres, spécialistes sans oublier l’entourage qui peut repérer une dépression chez un proche atteint de maladie chronique.

D’après l’intervention du Pr Pierre Thomas, CHRU de Lille, Université de Lille, dans le cadre du Forum sur la dépression organisé par « le Quotidien du Médecin » sous la présidence du Pr Jean-Pierre Olié avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck

 Dr LAURIE DANJOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 9146