Une histoire de France

Avant de surfer sur la déferlante de livres annoncée pour cet hiver 2020, prenons le temps d'opérer un pas de côté et d'évoquer le livre si singulier dans tous les sens du mot de Pierre Birnbaum, publié à l'automne dernier, La Leçon de Vichy. Comment l'homme qui a consacré son travail d'historien à l'étude de l'État fort à la française, incarnant les valeurs d'universalisme, accordant sa protection à tous, a pu occulter si longtemps le moment Vichy qui a jeté au feu cet héritage issu des Lumières ? L'enfant juif caché, dans les Hautes Pyrénées à Omex, né en 1940 pour vivre sa vie d'universitaire professeur à la Sorbonne, s'est donc longtemps tu. Et ce silence pesant a un jour été brisé grâce à une question de Pierre Assouline le biographe, mais aussi l'historien des années grises l'interrogeant sur son rosebud, écho du Citizen Kane d'Orson Wells. Se produit alors une libération en jetant le mot Omex dans la conversation. Ce coming out autorise un retour vers ces années sombres où une parole vraie condamnait à mort. Après la République rêvée et célébrée, Pierre Birnbaum en revisite la face sombre où l'élite d'une nation se dévoile, nourrie au lait de l'antisémitisme sécrété tout au long de cette si chérie troisième République. Et ne sera pas à la libération interrogée pour ses crimes. Sans surprise, l'enquête bute sur ce mystère. Mais elle aura permis à l'auteur de tisser enfin les fils de l'histoire personnelle et professionnelle et de célébrer dans un même mouvement ses parents qui ont survécu à la tragédie et cette famille d'accueil, enfin désignée comme juste. Vie privée, vie publique sont ici réconciliées. On mesure l'effort qu'a exigé ce livre pour s'extirper de la neutralité universitaire afin de livrer au regard de tous ses secrets au final si mal cachés. Mais l'émotion qui affleure à de nombreuses pages du livre en est la belle récompense.

La leçon de Vichy, Pierre Birnbaum, éditions du Seuil, 256 pages, 20 euros.