Le Généraliste. L’Inpes, l’InVS et l’Éprus fusionnent pour former la nouvelle agence nationale de santé publique. Pourquoi ce rapprochement ?
Pr François Bourdillon. Ce rapprochement est une vraie décision politique qui était attendue depuis des années. Tout ce qui est populationnel est regroupé pour donner plus de force, plus de puissance, plus d’intégration, plus de continuum entre l’épidémiologie et la prévention.
L’idée c’est que toute la connaissance épidémiologique induise demain de la prévention et de la promotion de la santé. Et qu’en cas d’alerte, nous ayons un bras armé (l’Eprus en l’occurrence, ndlr) qui nous permette de mieux se préparer et de répondre très vite à une situation d’urgence sanitaire.
Un autre élément qui a plaidé dans ce sens, c’est que tous les pays dits industrialisés ont déjà une grande agence de santé publique que ce soient les CDC d’Atlanta, l’INSPQ au Quebec, le Public Health England en Angleterre, etc.. En France nous avions une logique de type « une crise, une agence ». D’où un mille-feuille d’agences que beaucoup souhaitaient réduire.
La création de cette « super agence » s’inscrit aussi dans un contexte où la santé publique est devenue une vraie préoccupation des Français…
[[asset:image:10021 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Pr F.B. Tout à fait. On voit bien qu’il y a un certain nombre de sujets forts qui montent comme la vaccination, les sites et les sols pollués, etc. Sur tous ces thèmes, les citoyens veulent du débat, des études épidémiologiques, des conseils de prévention. Or tout cela doit se construire sur de l’expertise.
La santé publique n’est pas qu’une histoire de gestion, c’est d’abord une histoire de sciences. Nous avons donc voulu faire une agence sanitaire pour les populations sur la base d’une expertise scientifique. Nous voulons aussi ouvrir cette agence vers la société civile pour qu’elle soit en prise avec son temps et qu’il y ait un dialogue avec les citoyens.
Comment l’agence se positionnera-t-elle par rapport à la DGS ? Quels seront ses liens avec les autres agences sanitaires ?
Pr F.B. La DGS reste le stratège et le chef d’orchestre qui doit mettre en œuvre la politique de santé décidée par la ministre. Elle joue le rôle d’assembleur et interfère avec l’ensemble du système en s’appuyant sur l’expertise fournie par les agences.
Quant au partage qui est fait entre les agences, la sécurité des médicaments et des produits de santé relève de l’ANSM, l’Anses s’occupe des risques environnementaux potentiels pour l’homme alors que notre champ concerne la santé de la population au sens large : nous regardons l’évolution des maladies et l’on agit sur les comportements.
Enfin, la HAS – qui n’est pas une agence sanitaire mais une autorité de santé indépendante – s’occupe de la qualité et des pratiques professionnelles. Tout ceci est très complémentaire.
Quid du HCSP ?
Pr F.B. Le HCSP s’occupe de l’évaluation des politiques publiques mais il garde aussi son rôle d’expertise et d’orientation des pratiques médicales en termes de santé publique. A contrario, de notre côté, nous ne touchons pas du tout aux pratiques médicales. On n’intervient ni dans ce qui doit être prescrit, ni dans les examens à privilégier, etc. Nous sommes sur la prévention primaire, la prévention secondaire voire la prévention tertiaire, mais nous n’intervenons pas du tout sur la dispensation des soins.
Le Comité technique des vaccinations (CTV) ira, semble-t-il, à la HAS. N’aurait-il pas été plus logique qu’il vous rejoigne ?
Pr F.B. Il y a eu le rapport de Mme Hurel qui a considéré que les recommandations sur la vaccination sont des recommandations de bonnes pratiques et relèvent de ce fait de la HAS. Ce rapport préconisait aussi de rapprocher le CTV de la HAS pour des raisons d’efficacité afin qu’il n’y ait pas trop de décalage entre l’expertise, la commission de la transparence et le calendrier des vaccinations. La ministre a suivi cet avis et le CTV sera donc effectivement rattaché à la HAS. Mais il est vrai que dans de nombreux pays la politique vaccinale est rattachée à l’agence nationale de santé publique. Ceci
dit, nous avons toujours été très présents au sein du CTV au titre de l’InVS et de l’Inpes et nous continuerons à l’être.
Vous allez aussi participer à la consultation nationale sur la vaccination. Certains redoutent d’ailleurs un conflit d’intérêts, l’Inpes ayant un rôle dans la promotion de la vaccination.
Pr F.B. Ce n’est pas la nouvelle agence qui organisera la concertation citoyenne sur la vaccination mais un comité d’orientation indépendant mené par le Pr Alain Fischer qui nommera ses jurys de façon indépendante et qui fera des recommandations indépendantes. De notre côté, nous ne faisons qu’assurer le secrétariat et la logistique et apporter de l’expertise si nécessaire.
Si j’ai accepté, c’est pour soutenir l’idée d’ouverture et de dialogue avec la société qui est typiquement ce que je souhaite faire avec la nouvelle agence sur un certain nombre de grands sujets.
Outre ce soutien à la conférence nationale de santé sur la vaccination, quelles seront les premières grandes missions de la nouvelle agence ?
Pr F.B. Notre grand projet de l’année sera l’opération qui va être lancée en novembre sur la prévention du tabagisme. L’idée est d’encourager les fumeurs à arrêter au moins 28 jours, sachant que passé ce délai, on a cinq fois plus de chances d’arrêter de fumer définitivement.
Les praticiens de terrain, et notamment les généralistes, sont de plus en plus sensibilisés aux enjeux de santé publique. Dans quelle mesure comptez-vous les intégrer à vos actions ?
[[asset:image:10016 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Pr F.B. Les généralistes sont des acteurs importants de l’épidémiovigilance sur lesquels il faut pouvoir s’appuyer. Ils y participent d’ailleurs déjà via le signalement des maladies à déclaration obligatoire, via les réseaux Sentinelles ou encore, par exemple, via le système de vigilance porté par SOS médecins qui nous remonte au jour le jour le contenu de toutes leurs consultations. Comme pour la pharmacovigilance, cette fonction de signal de la médecine générale est quelque chose de très important. Au travers des soins, il y a aussi une dimension de santé publique…
Par ailleurs, notre rôle est aussi d’accompagner les généralistes dans leurs missions de prévention primaire en essayant de construire les boîtes à outils, les kits, l’information, qui leur permettent de connaître l’« environnement » dans lequel s’inscrit leur démarche. Par exemple, en matière de tabac, notre travail n’est pas tellement de leur dire comment on prescrit un substitut nicotinique ou de la varénicline – ce qu’ils savent faire mieux que nous – mais plus de leur expliquer qu’il y a un environnement qui permet d’arrêter comme « Tabac info service » notamment…
*Spécialiste de santé publique, le Pr François Bourdillon est aux commandes de l’InVS et de l’Inpes depuis 2014. Il est à l’origine du rapport de préfiguration sur la création de l’Agence nationale de santé publique qu’il dirige actuellement.
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