Si « Le Généraliste » était paru en juin 1927

Vacances, ce mot qui aurait indigné nos confrères d’autrefois…

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Publié le 13/06/2016
Histoire

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Il y a cinquante ans encore, les médecins ne s’absentaient jamais, sauf pour quelque deuil de famille, d’où ils revenaient le chapeau haut de forme gainé d’étoffe noire, le bras gauche cerclé d’un crêpe et la redingote plus noire encore que d’habitude. Tout au plus se permettaient-ils, à de longs intervalles, une courte fugue vers la capitale pour s’enthousiasmer d’un grand concert ou d’une pièce classique (par la suite, leur entourage entendait souvent le récit de cette soirée inoubliable avec le nom des exécutants et l’imitation approximative des acteurs) et, pour quelques privilégiés, un vrai voyage, un seul : excursion en Suisse ou pèlerinage à Rome, dont ils avaient rêvé pendant trente ans. Jamais le devoir n’eut des esclaves plus dociles et plus obéissants qu’eux.

Aujourd’hui, le médecin prend des vacances : il est même obligé d’en prendre car avec l’automobile, la motocyclette, le téléphone, la télégraphie avec ou sans fil, il est entré dans cette ronde frénétique que Dante a prévue comme principal supplice de nos sociétés finissantes.

- « Quelles sont ces âmes éperdues qui tourbillonnent comme emportées dans un cyclone ? » , demande-t-il tout épouvanté à Virgile.

-  « Ce sont les âmes des agités qui ont trop cru en elles-mêmes et qui sont condamnées à tourner de plus en plus vite dans un cercle qui s’élargit toujours. »

Le médecin moderne voudrait bien sortir un instant du tourbillon infernal et goûter un peu ce repos qui doit être une si bonne chose puisque l’Écriture a dit : « Le Sage acquerra la sagesse au temps de son repos ».

Que faire en vacances, sinon revenir au plaisir de la lecture que la vie, de nos jours, ne permet même plus à ses victimes ? Le médecin d’autrefois avait des loisirs pour lire, il lisait dans sa voiture pendant que son cheval montait lentement les côtes, il lisait en descendant les mêmes côtes, le frein (qu’on appelait alors une mécanique) serré à fond, il lisait avant et après son dîner.

Aujourd’hui, courbé sur le volant de son auto et faisant corps avec sa machine, ne s’arrêtant que pour vérifier un pneu, une soupape ou un carburateur, il ne peut plus suivre le conseil donné par Horace : « Nocturna versate manu, versate diurna », ses mains enduites de graisse, d’huile et de pétrole étant peu aptes à tourner les feuillets d’un livre.

Lisons donc puisque les dieux nous donnent ces courts loisirs et, puisque nous sommes médecins, que nos lectures les plus profanes soient encore tournées vers la médecine.

(Dr Bosc, médecin-chef de l'hôpital de Tours, « Gazette médicale du Centre », novembre 1927)


Source : lequotidiendumedecin.fr