Vers une monodose antibiotique systématique après accouchement avec extraction instrumentale, propose « The Lancet »

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Publié le 14/05/2019
forceps

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Crédit photo : PHANIE

L'administration systématique d'une dose antibiotique après accouchement par voie instrumentale (forceps, ventouse) diminue le risque d'infections périnéales maternelles, montre l'étude ANODE dans « The Lancet ».

Pour les auteurs, ces résultats appellent à changer les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui ne conseille l'antibioprophylaxie en routine que pour les césariennes.

Une dose d'1g d'Augmentin en I.V.

Chez 3 427 femmes ayant accouché avec aide instrumentale dans 27 maternités britanniques, l'équipe de l'université d'Oxford montre que le pourcentage de nouvelle prescription antibiotique dans les 6 semaines passe de 19 % (n = 306/1 606) dans le groupe placebo à 11 % (n = 180/1 619) dans le groupe antibiotique, et ce avec une dose unique IV d'Augmentin (1 g d'amoxicilline + 200 mg d'acide clavulanique) en post-partum immédiat.

De plus, le risque d'infections systémiques confirmées était diminué de 56 % dans le groupe antibiotique. Et les auteurs ont également estimé que le fait de donner 100 doses d'antibiotique en prophylaxie permettrait d'économiser 168 doses, soit une diminution de 17 % au total.

Une « bombe » pour la pratique clinique

Pour le Pr Philippe Deruelle, gynéco-obstétricien au CHU de Lille et secrétaire général du Collège national des gynécologues obstétriciens de France (CNGOF), ces résultats « clinquants font l'effet d'une "bombe" à l'heure où, paradoxalement, la tendance actuelle est de limiter l'exposition aux antibiotiques ». Aujourd'hui, en France comme ailleurs dans le monde, y compris en Amérique du Nord ou en Australie, l'antibioprophylaxie systématique n'est pas recommandée.

Pourtant, le gynécologue lillois appelle à la prudence. « Les chiffres d'infections périnéales dans l'étude ne correspondent pas à notre pratique, explique-t-il. Près de 20 % des femmes auraient une infection périnéale après extraction instrumentale, c'est monstrueux. De plus, il reste malgré tout 11% de prescription dans le groupe antibiotique. Pour l'endométrite, qui est la complication la plus redoutée, la fréquence est plus cohérente, de l'ordre de 1 %, et le fait de donner ou pas une antibioprophylaxie ne change rien. »

Une définition floue des infections

Le hic pourrait provenir d'un problème de définition de l'infection. Dans l'étude, la survenue d'une infection « présumée ou confirmée » était définie par « une nouvelle prescription d'antibiotiques pour des indications spécifiques, une infection systémique confirmée ou une endométrite », est-il précisé.

Pour Philippe Deruelle, si la définition de l'endométrite ne pose pas de problème, il n'en est pas de même pour le reste. « L'accouchement en lui-même génère de l'inflammation et des douleurs, fait-il remarquer. Et l'étude ne renseigne pas sur le dépistage d'un portage streptocoque. Toutes les femmes positives en France reçoivent des antibiotiques pendant le travail. »  

Un constat partagé par les deux éditorialistes, les Drs Vincenzo Berghella de l'université Thomas Jefferson de Philadelphie et Federica Bellussi de l'université de Bologne. « La prescription d'antibiotique est plus subjective que l'infection prouvée à la culture, écrivent-ils. Le critère utilisé par les médecins pour décider à qui donner des antibiotiques n'était pas clair. »

Forceps vs ventouse, épisiotomie ou pas

Il reste que l'équipe britannique retrouve un pourcentage moindre de nouvelle prescription antibiotique après antibioprophylaxie. Les avis sur la conduite à tenir ne sont pas consensuels et d'autres limites posent problème. Ainsi, la survenue d'infections périnéales était plus élevée dans le sous-groupe forceps que le sous-groupe ventouse, est-il relevé dans l'éditorial. « Ce n'est pas la même chose d'utiliser une petite ventouse pour le dégagement quand la parturiente est épuisée que d'avoir recours au forceps avec déchirure », fait remarquer quant à lui le Pr Deruelle.

Un changement pas à pas des recommandations

De plus, la majorité des femmes incluses (89 %) avaient eu une épisiotomie, ce qui représente un pourcentage trop élevé même en cas d'extraction instrumentale, admettent les auteurs. Or l'étude ne dispose pas de résultats dans un sous-groupe sans épisiotomie.

Pour les éditorialistes, ces résultats invitent à recommander une dose d'antibiotique dans les 6 heures après un accouchement instrumental avec épisiotomie, les données actuelles ne permettant pas de se prononcer en l'absence de ce geste. Pour le Pr Deruelle, « l'étude pose les bases d'un changement de pratique mais des ajustements sont nécessaires. La question est trop large, devoir traiter 100 femmes pour n'en rattraper que 8, cela paraît excessif. Il faut sans doute un peu mieux cibler les patientes et traiter à bon escient », estime-t-il pour le CNGOF.


Source : lequotidiendumedecin.fr