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Avec le coronavirus, les CPTS ont vécu leur baptême du feu

Par Adrien Renaud - Publié le 29/05/2020
Avec le coronavirus, les CPTS ont vécu leur baptême du feu

cpts
GARO/PHANIE

La crise du coronavirus a surpris la plupart des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), à un stade encore peu avancé de leur développement. Bon an, mal an, elles ont pourtant fait face, et certaines ont même trouvé dans cette épreuve un accélérateur pour leurs projets.

Parce qu’elles touchent de larges secteurs de la population et des territoires, les épidémies nécessitent par nature des réponses coordonnées. Avec sa forte atomisation, la médecine de ville française partait donc avec un lourd handicap pour faire face à celle qui s’est abattue sur la France au printemps. Mais le coronavirus a tout de même trouvé sur sa route les CPTS, pour la plupart en voie de constitution. Voilà qui a donné l’occasion à ces groupements de libéraux qui, rappelons-le, doivent selon les vœux d'Emmanuel Macron mailler le territoire français à la fin du quinquennat, de montrer leur utilité.

Exemple avec la CPTS Pévèle du Douaisis, dans le Nord. « Dès que la crise est arrivée, nous nous sommes mis en ordre de marche », raconte le Dr Sylvain Duriez, généraliste dans la commune de Landas et président de la structure. L’une des premières actions mises en œuvre a été la création d’un pool de médecins remplaçants. « L’idée était qu’ils puissent nous épauler en cas de coup dur, explique le médecin. Nous n’avons finalement pas eu la grosse vague que nous craignions, et nous n’avons donc pas eu besoin de ce renfort, mais le pool est créé et il nous servira pour l’été. »

La CPTS en question, qui couvre environ 40 000 habitants, ne s’est bien sûr pas arrêtée là. « Nous avons mis en place un groupe de travail entre généralistes et infirmiers pour réfléchir à un protocole pluriprofessionnel de télésurveillance », détaille le Dr Duriez. Vingt-sept infirmières ont été formées, une vingtaine de patients y ont été intégrés, et « ce protocole est prêt pour une éventuelle deuxième vague ». Le groupement s’est également lancé dans la constitution d’une filière de production et de distribution de masques en tissu, avec une trentaine de couturières bénévoles. 2 000 masques ont été produits endeux semaines, répartis entre les professionnels de santé, « qui les utilisent comme ils le veulent », indique-t-il.

« Là où il n’y en a pas, c’est plus compliqué »

Quand les CPTS étaient sur le pont, elles ont donc véritablement su faire la différence. Et les autorités sanitaires s’en sont bien aperçues. « Nous avons une mobilisation vraiment forte des CPTS sur le coronavirus dans notre région, et on voit bien que là où il n’y en a pas, c’est beaucoup plus compliqué », remarque ainsi Sabine Dupont, directrice de l’offre sanitaire à l’Agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire. Dans cette région comme dans d’autres, ces groupements ont bien souvent été à la manœuvre pour la création des centres Covid qui ont fleuri un peu partout.

D’après Sabine Dupont, l’un des principaux apports des CPTS lors de la crise est aussi d’avoir offert aux différents partenaires des interlocuteurs clairement identifiés. « Grâce à elles, les établissements de santé ont des correspondants, et c’est essentiel », note la responsable régionale, qui cite plusieurs cas d’hôpitaux en Centre-Val de Loire ayant mis sur pied des réunions régulières avec les CPTS, ou les ayant incluses dans les cellules de crise.

Mais si les communautés professionnelles territoriales de santé ont contribué à une meilleure prise en charge de l'épidémie, cette dernière a aussi été pour elles une occasion de se transformer, voire de se structurer. « Je pense que cette crise va être un accélérateur pour les CPTS, juge Sabine Dupont. Nous avons intensifié les liens, et de nouvelles organisations ont été trouvées. » De manière plus pragmatique, le Dr Duriez remarque que certaines actions prévues dans le projet de santé de sa CPTS ont été, à la faveur de la crise, mises en œuvre plus tôt. « Le pool de généralistes remplaçants, par exemple, figurait dans notre projet de santé, explique-t-il. Par la force des choses, nous avons avancé plus vite sur ce point. »

Le flacon de la CPTS et l’ivresse de la coordination

Il faut cependant se garder de voir dans les CPTS des chevaliers blancs qui auraient à eux seuls changé la face de l’épidémie. « Elles ont clairement été utiles », concède le Dr Guilaine Kieffer-Desgrippes, présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) médecins libéraux de la région Grand-Est. Cette généraliste strasbourgeoise évoque par exemple le groupement de Metz, « qui a mis en place un répertoire des cabinets de spécialistes qui continuaient à fonctionner, pour que les généralistes sachent où adresser les patients ». Mais elle souligne également que les CPTS ne sont pas les seules formes de coopération interprofessionnelle qui ont réussi à mettre en œuvre des initiatives positives durant l’épidémie.

« Les ESP (équipes de soins primaires), les MSP (maisons de santé pluriprofessionnelles) ont aussi travaillé, souligne la généraliste. Et je voudrais aussi citer les URPS, qui ont initié chez nous l’outil Distrimasques (une application internet qui permet la délivrance en officine de masques pour les soignants de la région, NDLR), qui compte 30 000 professionnels libéraux inscrits. » Bref, pour l’Alsacienne, peu importe l’outil de coordination, pourvu que les résultats soient au rendez-vous.

Le nerf de la guerre, comme toujours

Autre nuance à apporter à la « success story » des CPTS durant la crise : la question financière. « Nous avons fonctionné avec 0 euro », souligne le Dr Duriez depuis sa CPTS du Nord. Les heures passées à se coordonner, à élaborer les protocoles, à gérer la logistique du tissu et des masques ont été bénévoles. « Nous sommes motivés donc les choses tournent bien, mais il y a certaines limites à fonctionner sans budget », estime-t-il. Il évoque par exemple les actions de santé publique que la communauté professionnelle effectue pour expliquer à la population le bon usage des masques, et pour lesquelles elle a besoin d’affichages, de photocopies… « Nous n’avons pas pu faire tout ce que nous voulions, faute de moyens », regrette le généraliste.

Mais cela n’est pas une raison pour ne pas capitaliser sur l’expérience qu’ont acquise les CPTS durant la crise, bien au contraire. Telle est du moins l’opinion de la députée LREM de Loire-Atlantique Audrey Dufeu-Schubert, qui avait été chargée début mai d’une mission flash sur la loi relative à l’état d’urgence sanitaire. « On a vraiment vu une différence dans les territoires où des CPTS étaient constituées, note cette ancienne infirmière. Nous avons donc proposé à l’issue de notre mission qu'elles puissent être investies par le ministère d’un mandat de santé publique qui leur donnerait notamment la mission d’assurer le suivi des patients atteints du Covid et leur dépistage. » Voilà qui rejoint les propositions du Dr Claude Leicher, président de la Fédération des CPTS (voir interview). Et qui devrait alimenter les débats ces prochains mois sur la valorisation de la médecine de ville dans la prise en charge de l'épidémie et plus largement dans le système de soins.

Dossier réalisé par Adrien Renaud