Résultats définitifs des études Bacloville et Alpadir, assouplissement de la RTU, demande d’AMM imminente… L’actualité récente va dans le sens d’un usage plus large du baclofène en alcoologie. Cependant, des questions restent en suspens tant sur les effets indésirables que sur la dose optimale à prescrire. Avec pour ces deux aspects, des variations fortes entre individus qui plaident pour un traitement à la carte des patients.
Très attendus, les résultats définitifs des études Bacloville et Alpadir ont été présentés lors des Journées annuelles de la Société française d’alcoologie (Paris, 15-17 mars 2017). Après plusieurs années de controverse, le baclofène − initialement utilisé pour ses propriétés myorelaxantes – s’affirme désormais comme un outil thérapeutique reconnu pour la réduction des consommations d’alcool. Avec ces nouvelles données, « nous passons de l’ère passionnelle à l’ère rationnelle », s’est félicité le Pr Régis Bordet (Pôle santé publique, pharmacie et pharmacologie du CHRU de Lille) en ouvrant la session.
Réalisée en ambulatoire, l’étude Bacloville visait à comparer, vs placebo, l’efficacité et la sûreté du baclofène à fortes doses (jusqu’à 300 mg/j) chez des patients ayant une consommation d'alcool à risque. Elle a inclus 320 patients de 18 à 65 ans consultant pour leur problème d’alcool, suivis par des généralistes. Il s’agissait de malades « tout venant, comme en vie réelle, parmi lesquels des dépressifs, des usagers de drogues ou des patients atteints de cirrhose », souligne le Pr Philippe Jaury (Département de médecine générale de Paris Descartes), coordonnateur de cet essai et militant de la première heure pour tester le baclofène dans l’alcoolodépendance.
Un patient sur deux amélioré
L’objectif principal n’était pas l’abstinence mais la réduction de la consommation en dessous des seuils « à risque » définis par l’OMS (20 g d’alcool/j pour les femmes et 40 g/j pour les hommes). Après 12 mois de traitement, plus de la moitié des patients traités avaient réussi à atteindre cet objectif contre environ un tiers dans le groupe placebo, selon les résultats préliminaires présentés en septembre dernier lors du congrès mondial d’alcoologie.
Les résultats consolidés dévoilés par le Pr Philippe Jaury lors du congrès confirment cette efficacité avec 56,8 % des patients atteignant l’objectif principal à 12 mois vs 35,8 % sous placebo, soit une différence significative de 21 % entre les deux groupes. Ils mettent aussi en évidence un nombre de jours d’abstinence significativement supérieur dans le groupe baclofène. Côté tolérance, de très nombreux effets indésirables courants ont été recensés, aussi bien sous baclofène (93 %) qu’avec le placebo (87 %), sans différence significative entre les deux groupes. En revanche, on observe davantage d'effets indésirables graves (insomnie, somnolence et troubles cognitifs) sous baclofène (44 %) vs placebo (31 %). « Il s’agit cependant d’effets connus et attendus qui peuvent être parés via d’autres traitements ou en adaptant les doses », tempère le Pr Jaury.
L’étude Alpadir est moins concluante puisque l’objectif principal (abstinence complète pendant vingt semaines) n’a pas été atteint. Selon le Pr Michel Reynaud (Service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse, Villejuif), investigateur principal de l’étude, ce résultat négatif pourrait s’expliquer par les évolutions des objectifs thérapeutiques en matière d’alcool observées au cours de ces dernières années. « Le protocole de l’étude a été conçu à une époque où l’on parlait essentiellement d’abstinence », explique le Pr Reynaud. Mais, depuis, « la communication et la perception sociale autour du baclofène ont profondément changé chez les soignants comme chez les malades, et les patients ont désormais davantage tendance à souhaiter réduire leur consommation plutôt qu’à rester totalement abstinent ». Pour les autres critères (baisse de consommation journalière, délai jusqu’à rechute, etc.), les données étaient en faveur du baclofène mais sans différences significatives, sauf pour le craving. L’effet du baclofène était plus marqué chez les buveurs à haut risque. « Des buveurs de 12 verres/j sont passés à 3 avec le baclofène, contre 4,5 avec le placebo », illustre le Pr Reynaud. Côté tolérance, aucun problème grave n’a été relevé, mais les participants les plus fragiles avaient été écartés.
Pour le spécialiste, sans être miraculeux, « ce médicament apporte donc un plus dans l'arsenal thérapeutique » contre l'alcoolodépendance.
De la RTU à l’AMM ?
Anticipation ou hasard du calendrier, l’ANSM vient d’ailleurs d’assouplir et de reconduire pour un an la RTU du baclofène dans la prise en charge des patients alcoolodépendants. Désormais, celui-ci peut être prescrit en primoprescription et non plus seulement « après échec des autres traitements disponibles ». Par ailleurs, jugé trop complexe, « le portail d’inclusion des patients sera supprimé ».
De son côté, le laboratoire Ethypharm devrait déposer d’ici à la fin du mois une demande d’AMM pour une formulation de baclofène spécifiquement adaptée au traitement de l’alcoolodépendance avec des comprimés dosés de 10 à 60 mg. « Ce médicament répondra aux besoins des prescripteurs et des patients qui actuellement composent avec une galénique inappropriée qui impose la prise d’un nombre très important de comprimés », espère le laboratoire.
Questions en suspens
Dans ce contexte, le baclofène est-il en passe de devenir un traitement « de routine » de l’alcoolodépendance ? Pour le moment, autorités de santé et experts restent prudents, d’autant que certaines questions sont encore suspens.
Pour le Pr Reynaud, même avec les nouveaux résultats des études Bacloville et Alpadir, « la question des effets indésirables n’est pas complètement résolue », faute d’effectifs suffisants. Une étude CNAMTS-ANSM portant sur la sécurité du baclofène devrait bientôt permettre d’y voir plus clair. En attendant, l’ANSM recommande la prudence chez les patients présentant des troubles psychiatriques (risque d’aggravation et/ou potentiel risque suicidaire) et pour les patients épileptiques (diminution possible du seuil épileptogène).
La question des doses reste aussi ouverte. « Dans la littérature, il y a des études positives à 30 mg et des études négatives à 240 mg, observe le Pr Reynaud, et en pratique, la recherche de la dose efficace se fait encore pour le moment en tâtonnant ». Pour la plupart des patients, cette posologie
devrait être comprise entre 90 et 180 mg. « Mais, pour certains, il sera intéressant d’aller au-delà, tout en sachant que le risque est vraisemblablement plus élevé quand on monte les doses. D’où un maniement pas forcément simple. »
Traitement à la carte
Pour le Pr Jaury, le baclofène sera donc à prescrire « à la carte » en fonction des caractéristiques, des effets secondaires et de l’efficacité observée chez chaque patient.
Une tendance à la personnalisation qui dépasse la question du baclofène. La problématique du patient alcoolique est très hétérogène a ainsi souligné le Pr Mickaël Naassila, président de la SFA, lors d’une autre session dédiée à l’individualisation du traitement. Comorbidités, polyconsommations, environnement social, antécédents familiaux, sexe, mais aussi déficits cognitifs ou (épi) génétique se combinent pour dessiner des phénotypes multiples (voir encadrés). Autant de polymorphismes de patients à prendre en compte pour personnaliser la prise en charge.
Le poids de la génétique
50 % des facteurs impliqués dans le mésusage ou l’alcoolodépendance sont liés à des gènes et à leur interaction. Les recherches décrivent déjà des facteurs de susceptibilité à la maladie, de complication lors du sevrage et de réponse au traitement. Des études récentes ont démontré le polymorphisme des gènes codant les récepteurs μ des opioïdes, le transporteur de la sérotonine ou le récepteur kaïnate, GluK 1 du glutamate et leur association à des variations de la réponse à la naltrexone, l’ondansétron ou au topiramate. Mais les applications cliniques de la génétique sont encore balbutiantes et de nouvelles études prenant aussi en compte l’épigénétique sont nécessaires.