Malgré la puissance du courant trumpiste

Biden changera l'Amérique

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Publié le 20/11/2020
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Les analystes de tout bord ont rejoint le consensus pessimiste : Trump a presque obtenu le vote de la moitié des Américains et, de ce fait, Joe Biden restera impuissant. Ce n'est pas vrai : le président élu a gagné l'élection d'une manière parfaitement légitime et, quoi qu'il arrive, il entrera à la Maison Blanche et exercera ses fonctions dans le respect des décisions qu'il a déjà annoncées.
Kamala, Joe et leurs époux

Kamala, Joe et leurs époux
Crédit photo : AFP

On insiste énormément sur le score de Donald Trump et on se gargarise avec les 70 millions de suffrages qui se sont portés sur son nom, en oubliant que Joe Biden en a recueilli cinq millions de plus, qu'il a la majorité du collège électoral et qu'il a gardé sa majorité à la chambre des représentants. Le peuple américain a donc nommé un nouveau président. Il n'a pas souhaité accorder un second mandat à son prédécesseur, qui s'en servirait pour achever une tâche sinistre. Biden a arrêté net la désagrégation de l"Union et sa victoire a une importance historique en ce sens qu'elle a empêché une dérive suicidaire. L'immense participation, le scrupuleux décompte des voix, l'unité pour établir la vérité électorale ont été assurés par des institutions robustes. 

Entrons dans les détails. Biden n'a pas (encore) la majorité au Sénat. Les républicains ont désigné 48 sénateurs, les démocrates exactement le même nombre. Deux postes de sénateurs, tous deux de Géorgie, sont à pourvoir. Si le parti démocrate parvient à les faire élire, le tour est joué. Si un seul sénateur démocrate est élu, le rapport de forces est de 49-49 (deux sénateurs indépendants), avec la présidente du Sénat qui est aussi la vice-présidente, donc Kamala Harris assurera l'issue de chaque débat entre les deux camps. Si les démocrates n'ont aucun des deux sénateurs de Géorgie, les républicains bloqueront la politique de Biden. Lequel peut alors gouverner par décrets présidentiels, comme l'a fait systématiquement et sans vergogne Donald Trump. Sans le Sénat, il reviendra, comme il l'a promis, dans la conférence mondiale sur le climat et réinstaurera le rôle des États-Unis dans l'Otan. Et ce n'est pas tout. En 2022, il y aura les élections de mi-mandat et il n'est pas impossible que les Américains, guéris du Covid et prospères grâce au rebond de l'économie, lui donnent un majorité au Congrès, Chambre et Sénat réunis.

Des faits irrécusables

J'énonce là des faits irrécusables. Ils sont inscrits dans le calendrier électoral et dans les pouvoirs dont la Constitution a doté le président. Certes, les États-Unis ont besoin d'un nouveau plan de relance que les républicains se feront un plaisir de rejeter au nom de cette orthodoxie budgétaire qu'ils se sont hâtés d'oublier dès le début de la pandémie. Il n'est pas impossible qu'une fois Trump renvoyé à ses parties de golf, ils trouvent le courage de voter le plan.

Certes encore, Joe Biden a fait la synthèse de tous les courants de la gauche, mais ses anciens adversaires aux primaires, Bernie Sanders et Elizabeth Warren exigent que le programme du nouveau président soit influencé par leurs idées. De la même manière, la pasionaria de l'ultra-gauche, Alexandria Ocasio-Cortez, élue à la Chambre des représentants, a promis de ne pas céder au centrisme de Biden. Mais la gauche de la gauche a pris des engagements et elle devra s'y tenir au nom de la discipline de parti. Si elle fait mine de ne pas voter les mesures du président, elle sera disqualifiée. Ce n'est pas un hasard si Biden a gagné la primaire. Enfin, on ne peut pas à la fois s'inquiéter du rôle de la gauche et de l'influence de la droite. C'est ou l'une ou l'autre. Elles s'annuleront.

Or qu'entend-on dans la bouche des « experts », surtout les Français qui misent invariablement sur le pire ? Que le courant trumpiste a une force terrifiante, qu'il finira pas balayer les citoyens américains raisonnables, qu'il s'agit d'une révolution. Ah, oui ? Et si Trump avait gagné, qu'auraient-ils dit ? Que les portes de l'enfer ont été franchies ? Je me permets de les renvoyer à la démocratie américaine qui est vivante parce qu'elle bouge, parce que les choses changent selon une chronologie immuable. Bien sûr, Donald Trump n'est pas mort, bien sûr, il fera tout pour revenir au pouvoir. Mais qui est le mieux placé pour réduire les inégalités, pour lutter contre le réchauffement climatique, pour rétablir les liens entre l'Amérique et l'Europe, pour lutter contre les régimes autoritaires et dictatoriaux, pour rendre un espoir aux peuples sous le joug ? Qui, sinon Biden ?

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin