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Nouvelles technologies

Comment l'IA pourrait s'immiscer dans vos cabinets

Par Aurélie Dureuil et Bénédicte Gatin - Publié le 27/09/2021
Comment l'IA pourrait s'immiscer dans vos cabinets


©natali_mis - stock.adobe.com

Aide au diagnostic en imagerie médicale, prédiction de la réponse à un traitement, mais aussi aide au recrutement des patients dans les essais cliniques ou modélisation pour la recherche médicale, les applications de l’intelligence artificielle dans le secteur de la santé se multiplient, principalement dans l'industrie et à l'hôpital. Pourtant, elles tardent à apparaître dans les cabinets de médecine générale. Tour d’horizon des applications qui pourraient concerner l'omnipraticien.

Le secteur de la santé n’échappe pas à l’essor d’applications d’intelligence artificielle (IA). Un rapport publié en mai 2021 par le cabinet américain Grand View Research estime que le marché mondial de l’intelligence artificielle en santé atteignait 6,7 milliards de dollars en 2020. Les applications, citées dans l’étude, sont aussi diverses que l’aide au diagnostic, la chirurgie assistée par ordinateur, le suivi des patients, la réduction des erreurs de dosage, l’assistance administrative, les essais cliniques ou encore la détection des fraudes dans le système de santé. Si les applications se développent, elles restent encore modestes dans les cabinets de médecine générale. « On peut avoir l’impression que ce sujet de l’intelligence artificielle concerne moins les médecins généralistes. Il faut très vite se départir de ce préjugé. Certes, le développement de l’IA touche plutôt certains aspects de la pratique médicale que d’autres. Mais l’IA amène le déplacement des pratiques », prévient David Gruson, fondateur d’Ethik-IA et directeur du programme santé de l’éditeur Jouve.

Une aide au diagnostic très spécifique

Les algorithmes d’intelligence artificielle se sont fait petit à petit une place dans l’aide au diagnostic. Notamment dans le domaine de l’imagerie médicale et dans l’analyse d’importantes bases de données. Cependant, un grand nombre de ces solutions est encore aujourd’hui en cours de développement. Outre les grandes entreprises internationales, comme GE Healthcare ou Siemens Healthcare, des start-up françaises émergent sur le sujet. La jeune société française Gleamer, qui propose un dispositif médical de classe IIa, BoneView, pour l’aide au diagnostic sur les radiographies traumatiques osseuses, a par exemple conclu un partenariat en septembre 2021 avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour développer une solution pour la détection des pathologies thoraciques en radiographie. De son côté, la start-up Cardiologs déploie sa solution d’aide au diagnostic de l’arythmie à partir des électrocardiogrammes dans des centres de cardiologie et établissements de soins. Elle revendique un gain de temps pour effectuer le diagnostic, passant de 15 minutes avec un « logiciel traditionnel » à 5 minutes avec son système. En oncologie, les systèmes utilisant de l’intelligence artificielle visent à détecter les lésions cancéreuses. La société Therapixel a, elle, obtenu un marquage CE en janvier 2021 pour son logiciel MammoScreen d’analyse de mammographie.

Plus proche peut-être du MG, l’IA pourrait aussi faciliter le diagnostic ambulatoire du syndrome d'apnée-hypopnée obstructive du sommeil (SAHOS), avec le système Sunrise. Basé sur l’analyse des mouvements mandibulaires, via un patch placé sur le menton, ce dispositif médical de classe II a obtenu fin 2020 un avis favorable de la Haute Autorité de santé (HAS) pour une prise en charge dérogatoire et temporaire dans le cadre d’un forfait innovation. Alors que l’accès à la polysomnographie demande parfois plusieurs mois, l’espoir est de « permettre une fluidification du diagnostic », souligne Laurent Martinot co-fondateur et PDG de la société Hellosunrise, en permettant aux médecins de ville – et notamment aux généralistes – qui suspectent un SAHOS « un accès plus rapide à l’information ».  

« L’intelligence artificielle de diagnostic médical est là. Elle se diffuse. Il y a toute une efflorescence de diagnostic, par exemple en traumatologie, en ophtalmologie, en dermatologie, en cancérologie… On est alors plutôt sur des indications de spécialités. Il faut pourtant imaginer que cette efflorescence va permettre au médecin généraliste de se faire une première idée de diagnostic. Et après, il pourra le cas échéant solliciter un deuxième avis en télé-expertise par exemple », prédit David Gruson.

L’aide à la prescription, l’application qui s’approche le plus des médecins généralistes

Du côté des traitements, le système DBLG1 de Diabeloop est le premier intégrant de l’IA auto-apprenante à avoir obtenu un avis de la HAS en février 2020 (amélioration du service attendu III), avant d’obtenir le remboursement en septembre 2021. Couplé à un capteur de glucose en continu et une pompe à insuline, l’algorithme analyse les données et calcule la dose d’insuline à administrer dans le diabète de type 1. À la HAS, Isabelle Adenot indique cependant que seuls deux dispositifs intégrant de l’IA (Diabeloop et Hellosunrise) ont été évalués par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et technologies de santé (CNEDiMTS), qu’elle préside.

Si peu de traitements intègrent de l’intelligence artificielle, la technologie entre dans les cabinets pour l’aide à la prescription. La société Synapse Medicine a obtenu en septembre 2021 la certification « logiciel d’aide à la prescription » de la HAS pour sa plateforme, dispositif médical de classe I. « Nous avons construit des algorithmes qui font, jour et nuit, du traitement du langage naturel et passent sur les RCP des médicaments, les guidelines de l’ANSM… et en font une base de données. Si, demain, un effet secondaire est détecté puis mis à jour par l’ANSM, il faut plusieurs mois pour que l’information arrive chez les médecins. Avec notre plateforme, elle est disponible 48 heures après », explique Clément Goehrs, PDG de la start-up bordelaise. L’entreprise a travaillé par ailleurs avec l’ANSM pour mettre au point Medication Shield afin d’analyser en temps réel les déclarations d’effets indésirables.

Sur une toute autre technologie, la société ExactCure propose également un dispositif médical de classe I basé sur les jumeaux numériques. Après le recueil d’informations sur le patient – « cinq questions obligatoires lors de l’installation » –, l’application « calcule la réponse pharmacologique spécifique du patient. À chaque médicament pris, le patient remplit l’application », détaille Frédéric Dayan, PDG d’ExactCure. Les algorithmes s’appuient sur la littérature scientifique et clinique. Pour le patient, il y voit une façon de le sécuriser sur sa prise de médicament et de faire de l’éducation thérapeutique du patient chronique. Pour les médecins, une interface permet d’accéder au suivi du patient et, « lors d’une néoprescription, de trouver la posologie optimale pour le patient avec toutes les hypothèses de prescription », décrit le dirigeant.

La société Posos propose également une solution d’information sur les médicaments. Elle se base sur des sources telles que la HAS, l’Agence européenne des médicaments (EMA), la base de données publique des médicaments, PubMed…

Isabelle Adenot temporise cependant : « dans ce type de logiciels, un médecin à un moment donné va prescrire ou vouloir prescrire un traitement ; la question de savoir s’il y a des contre-indications, des effets secondaires, cela découle d’arbres décisionnels, pas de l’IA ». 

Des développements pour le suivi des patients

Le suivi des patients voit aussi arriver des innovations liées à l’intelligence artificielle. Ces applications ne concernent cependant pas directement les médecins généralistes. À l’exemple de chatbots, agents conversationnels. Ils sont notamment utilisés pour répondre aux questions des patients sur une pathologie et leur apporter des informations, comme ceux de WeFight : Vik cancer du Sein, Vik Dépression, Vik Migraine…

Dans ce domaine du suivi des patients, Isabelle Adenot s’attend à voir « de plus en plus de miniaturisation, des capteurs divers et variés. Et qui dit données dit traitement de ces données. Il est évident que dans un futur rapide, il y aura ces traitements de données et donc des dispositifs qui vont arriver. »

L'IA pour une meilleure organisation des soins ?

Là encore, l’intelligence artificielle semble avoir pour le moment peu d’applications destinées aux médecins généralistes. Il s’agit par exemple de logiciels pour la gestion des admissions hospitalières comme celui de Jouve ou du chatbot Memoquest de Calmedica pour le suivi pré- et post-admission des patients. Pendant la crise liée au Covid-19, l’intelligence artificielle a également été utilisée pour l’organisation des soins sur des territoires. À l’occasion d’une conférence AI For Health à l’Assemblée nationale en juillet 2021, Maxime Champain, directeur Europe de SavanaMed a partagé l’exemple de la région espagnole de Castille-La Manche : « Dans le cadre d’un partenariat avec l’agence régionale de santé, nous avons développé un modèle d’intelligence artificielle sur la base de la compréhension du langage dans les dossiers médicaux saisis (incluant ceux de la médecine de ville, ndlr). La structuration et la mise à jour en continu de ces données nous a permis de répondre à quatre questions : comment anticiper l’admission de patients atteints de Covid-19 dans les réa, quel impact pour les patients asthmatiques, quelles comorbidités et l’impact du genre face au Covid ».

La nécessaire intégration de ces solutions dans les outils des médecins

Et, alors que les applications de l’intelligence artificielle se font rares dans les cabinets des médecins généralistes, se pose la question de leur praticité pour les omnipraticiens. En effet, les solutions actuelles ne sont pas forcément intégrées dans leurs logiciels métiers, nécessitant alors d’installer une application spécifique ou d’accéder via le web à une plateforme dédiée. David Gruson pointe également le modèle économique. Sur l’utilisation des outils d’aide au diagnostic par les MG, il questionne : « comment intègre-t-on ce rapprochement de la pratique de spécialité ? La mise à disposition de ces technologies aux médecins généralistes va générer un considérable effet d’accessibilité à des soins pour lesquels l’accès à un médecin spécialiste est difficile mais cela nécessitera un investissement initial. Qui le financera ? ». Isabelle Adenot avertit également qu’il « ne faudra laisser personne au bord de la route, que ce soit les professionnels de santé ou les patients ». Elle pointe la question de la formation mais aussi celle de l’accès à Internet…