La lecture des deux tribunes publiées dans « Le Quotidien » du 4 septembre a fait réagir ce directeur d'hôpital, numéro deux du Syncass-CFDT qui représente les cadres des établissements sanitaires et sociaux. Il redoute que le recentrage des ARS et la territorialisation croissante de la gouvernance de la santé ne génèrent effets pervers et inégalités dans l'accès aux soins.
Du côté des élus locaux, l’affaire semble entendue. Les ARS ont failli pendant la crise Covid, il leur faut passer la main : soit aux préfectures, qui n’ont aujourd’hui aucune compétence en matière sanitaire, soit aux départements, notamment pour tout ce qui touche aux établissements sociaux et médico-sociaux.
Il est vrai que l’évaluation de l’action et du fonctionnement des ARS mérite évaluation, 10 ans après leur création. Mais ne cherche-t-on pas un bouc émissaire facile à une politique nationale de contrainte financière et humaine (en quoi les ARS seraient-elles « coupables » des manques de moyens humains, notamment médicaux, dans les territoires alors que les élus n’ont pas souhaité imposer de contrainte à l’installation et que la politique d’incitation n’a pas apporté de bénéfices réels ?) jusqu’ici finalement consensuelle ? Et quelles en seraient les conséquences pour le secteur concerné ?
Un gigantisme imposé
Sauf à remuer la nostalgie des DDASS et DRASS, ancêtres des ARH/ARS, le transfert de la santé aux préfets paraît inapproprié. Le regroupement des régions par la loi Notre et la création de périmètres désormais trop étendus sont plus en cause que l’inaptitude des ARS. C’est bien le gigantisme imposé qui a contribué en grande partie à leur éloignement du terrain et des questions locales (ne peut-on d’ailleurs redouter à l’identique le caractère XXL de certains GHT ? ou demain des territoires de CPTS à la géographie par trop extensive ?) plutôt qu’un supposé désintérêt.
Il faut inventer à l’évidence ou relancer un échelon de proximité, qui leur reste néanmoins attaché, car au plan universitaire, celui de la formation des professionnels de santé, du recours hospitalier ou encore de la recherche en santé, l’échelon régional conserve une pertinence de réflexion et d’action en matière sanitaire. Les préfectures n’ont aujourd’hui ni compétences ni relais auprès des professionnels de santé.
Quant à transférer le médico-social intégralement aux départements, basculant de facto (ceux-ci réclament de nommer les directeurs qui bénéficient actuellement d’un cadre national garantissant l’autonomie juridique de leurs établissements) un pan de la fonction publique hospitalière vers la territoriale, les conséquences potentielles apparaissent-elles plus utiles que néfastes ?
Derrière les arguments « de bon sens » apparent de l’unification du financement, de la simplification du modèle, se cachent en réalité une grande diversité des situations concrètes et l’inéquité de traitement entre les populations selon le lieu d’habitation. Si chacun cotise au « risque » grand âge, comment ne pas garantir les mêmes droits et prestations quel que soit le lieu de résidence ? Les fortes disparités départementales se vérifient déjà dans les actions d’accompagnement des mineurs (secteur social, champ de l’enfance). Les politiques tarifaires (pour la part qui leur incombe dans le modèle actuel) visant les EHPAD et les personnes âgées à domicile sont tout aussi variées. Il en va ainsi en matière de création de nouvelles places d’hébergement, l’offre publique autonome en EHPAD devenant dans certains départements très nettement minoritaire, rendant l’accès difficile à ces structures aux moins aisés.
La bascule des agents de la FPH, qui est la fonction publique de référence pour les trois champs (social, médico-social et sanitaire), priverait des milliers de professionnels d’évolution de carrière au sein des établissements publics de santé (les hôpitaux publics détiennent 46 % des places d’EHPAD publics ; l’offre de santé mentale comporte souvent des structures sociales ou médico-sociales en son sein) et du lien de formation et de rapprochement des pratiques au sein des filières gériatriques de territoire.
Enfin, la disparition d’un corps de direction national formé pour exercer ces missions (qui n’a pas d’équivalent au sein de la fonction publique territoriale ; la nomination des directeurs réclamée par les élus pourra se faire aisément parmi les cadres à leur disposition sans pouvoir garantir la professionnalisation) priverait les établissements de leurs compétences, mais aussi en supprimant la personnalité morale des structures destinées à devenir des services de la collectivité départementale, des principaux leviers du management : représentation légale, budget et recrutement autonomes, marchés publics,
La crise Covid a démontré l’intérêt de renforcer les liens entre hôpitaux et EHPAD (entre autres) sous le pilotage unique des ARS, dont il s’agit d’un des objectifs de leur création. Que l’association des élus locaux et des citoyens dans la conduite des politiques sanitaires, sociales et médico-sociales doive être renforcée est une évidence. Mais pas au prix de l’éclatement du secteur social et médico-social public.
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