L’engouement médiatique créé par la saga de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid 19 est un paradigme de la diffusion incontrôlée de l’information médicale. L’afflux d’informations scientifiques ou pseudo scientifiques contradictoires, a suscité interrogations et désarroi. Maintenant que la fièvre médiatique est retombée on peut se demander sereinement pourquoi ? Peut-être parce qu’un aspect fondamental, n’a jamais été bien expliqué : à savoir, qu’est-ce qu’une vérité scientifique ? Et en particulier qu’est-ce qu’une vérité scientifique en médecine dans l’évaluation de l’efficacité d’un médicament ? La réponse à cette question éclaire le débat et situe la controverse à un niveau mal compris par le non initié.
En premier lieu qu’est-ce qu’une vérité scientifique ? C’est un vaste débat qui n’est pas clos.
Jusqu’à la première moitié du XXe siècle la vérité scientifique était de manière consensuelle, définie par les méthodes inductives, empiriques, prônées par Bacon, reprises par Locke et Humes. Il s’agit d’une méthode de travail qui part des faits, de données réelles, observables, pour se diriger vers l'explication de celles-ci. À partir d’observations particulières, le chercheur veut comprendre un phénomène général.
Critères de réfutabilité
Karl Popper proposa l’abandon de la méthode inductive, au profit d’une méthode déductive qui a pour but d’expliquer un phénomène en partant d’une hypothèse. L’expérience va confirmer ou infirmer les hypothèses. Le point crucial, est qu’il faut mettre à l'épreuve ces hypothèses par « une tentative pour en démontrer la fausseté ou pour la réfuter ». On propose des conjectures (hypothèses) que l’on confronte à des expériences de réfutabilité. Au total, le critère de la scientificité d'une théorie « réside dans la possibilité de l'invalider, de la réfuter ou encore de la tester ». En clair : j’avance une théorie et je propose une expérience pour la réfuter. Si l’expérience échoue, je conforte ma théorie qui acquiert une valeur plus ou moins élevée de vérité scientifique en fonction du risque que j’ai pris pour la réfuter.
Comment peut-on approcher la vérité scientifique en médecine dans le cadre de l’évaluation de l’efficacité d’un médicament ? À ma connaissance aucune analyse épistémologique n’a été faite sur ce sujet. Essayons d’appliquer la démarche poppérienne. L’approche de la vérité scientifique devrait alors se définir à partir de deux éléments : d’une part la réfutabilité et d’autre part la reproductibilité.
Pour cela, encore faut-il définir le ou les critères de réfutabilité en recherche médicale et en particulier dans le domaine de l’efficacité d’un médicament dans un cadre nosologique défini.
La réfutabilité se situe simplement au-delà de la marge d’erreur dans les résultats que l’on estime acceptable pour écarter le fait du hasard. Le curseur peut évidemment être placé plus ou moins près du risque zéro qui est statistiquement hors d’atteinte. Ainsi, par essence même, dans notre cadre nosologique particulier, la vérité scientifique ne peut être vraie à 100 % (traduit trivialement par l’expression : « le risque zéro n’existe pas »). Il n’existe qu’un degré plus ou moins élevé de vérisimilitude.
La scientificité se joue sur la méthode
Une garantie de fiabilité des résultats est cependant impérative. Pour cela une méthodologie rigoureuse doit être appliquée. Elle est le gage de la reproductibilité. Cette méthodologie doit être nécessaire et universelle. Nécessaire car l’hypothèse de départ doit répondre à une question précise. Universelle c’est-à-dire reproductible. Pourquoi ? Parce que, et nous touchons ici au point fondamental : la scientificité, ne se juge pas sur les résultats mais sur la méthode.
Cette méthodologie obéit à certaines règles que les médecins rompus aux articles scientifiques connaissent tous et que je me permets de rappeler : la comparaison doit être faite entre des groupes homogènes de malades comparables en tous points. La taille des échantillons doit être suffisante pour que les calculs aboutissent à une marge d’erreur minimale préétablie et acceptable. Les études doivent être prospectives et non observationnelles, menées entre un groupe testé et un groupe contrôle, en double aveugle et randomisées. Les données brutes doivent être accessibles à toute la communauté scientifique internationale afin de pouvoir critiquer ou reproduire l’expérience. Il s’agit de la démarche scientifique traditionnelle mais encore fallait-il l’expliciter.
Il faut avoir à l’esprit que les pairs examinateurs des revues scientifiques, experts dans le domaine concerné, chargés d’analyser, de donner leur avis afin d’accepter ou de récuser les articles pour publication, ne s’intéressent pas aux résultats. Ils s’intéressent exclusivement à la méthode. Encore une fois, c’est la rigueur de la méthode qui permet la reproductibilité. C’est la signification de la phrase concluant beaucoup d’études : « d’autres études sont nécessaires pour confirmer nos résultats ». En clair, en employant les mêmes méthodes pour reproduire l’expérience, nous devrions aboutir à des résultats similaires renforçant dès lors le degré de vérisimilitude, dont l’objectif est de s’approcher au plus près de la vérité.
Ainsi, contrairement à ce qui est trop souvent admis de manière erronée ou incompris, la controverse scientifique ne porte pas sur les résultats mais sur la méthode. Et la méthode ne dépend pas de l’humeur, de l’intuition ou des envies de chacun, mais d’un large consensus international, rodé depuis des années, et qui a largement fait ses preuves.
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