Un « bénéfice éthique » est un concept récent parmi les industries de santé. Cela a été revendiqué par le Laboratoire allemand CureVac concernant son modèle de vaccin mRNA (Financial Times du 16 août) en argumentant le principe de marge bénéficiaire éthique pour les investisseurs.
La recherche en santé a été « sur-stimulée » par la crise Covid-19 et la course au vaccin est bien lancée. Réduire l’incertitude du futur proche et apporter des solutions pratiques, voilà tout l’enjeu. D’un cycle capitalistique classique, la pression urgente en faveur d’une disponibilité prochaine a par contre créé des tensions politiques majeures dues à des stratégies nationales concurrentes.
Certains gouvernements ont dans un premier temps cherché à nouer des partenariats privilégiés avec des industriels pour s’assurer d’une garantie d’approvisionnement. Chine et Russie, USA et Europe sont rentrés dans un jeu politique moralement destructif, nous exposant à un nationalisme médical compétitif. L’OMS a rappelé qu’il s’agissait d’une urgence mondiale, et l’Europe s’est également impliquée en préemptant 300 millions de doses potentielles avec Astra-Zeneca en faveur donc de solutions supranationales. Mais ces effets d’annonce ont été désastreux en termes de communication.
Nous sommes redevables à la recherche médicale pour notre santé individuelle mais aussi pour remettre en marche nos appareils socio-économiques. Et dans ces étapes difficiles, le réflexe de repli sur soi a primé au détriment d’une recherche globale coopérative. Cependant les résultats devront être, quoi qu’il arrive, de dimension planétaire.
L’éthique est et reste donc la seule perspective à revendiquer face au danger imprévu que nous devons affronter. La course contre la montre est engagée en termes de mise au point vaccinale mais, tout autant si ce n’est plus, en termes de production industrielle le moment venu. « Le Monde » (édition du 4 septembre) rappelle l’association de GSK et de Sanofi sur ces deux étapes. Et aussi que la diffusion devra prévoir de dépasser les seuls intérêts du financeur, privé ou public, pour assurer une couverture vaccinale le moment venu largement accessible.
Le classique ROIC (Return On Invest Capital ou retour sur investissement) sera donc double, financier et humain. Cette crise mérite une réflexion attentive, nos espoirs sont là en faveur d’une vaccination de masse. Mais aurions-nous pu tolérer qu’une frontière bloque ce progrès ? Que d’une priorité d’investissement national naisse une exclusion de fait face à une problématique de santé mondiale ?
« Lancetgate »
Nous avons suivi ce printemps et cet été un feuilleton boursier fluctuant suivant les évaluations thérapeutiques, concernant par exemple Gilead dont les cours ont été influencés par l’avancée des essais cliniques. Jusqu’à ce que l’ensemble du système se bloque dans ce qu’il faut bien appeler le « Lancetgate » quand ont été remis en cause les résultats de certains essais thérapeutiques. La crédibilité d’une des plus grandes revues scientifiques médicales, a été fragilisée. L’urgence de publier a remis en cause les principes d’évaluation et donc de sécurité médicale, c’est bien tout l’appareil scientifico-économique et ses chaînes de valeur, qui en a pâti en négligeant l'indispensable dimension de l'intégrité scientifique.
Les liens entre l’économique et l’éthique sont toujours complexes en santé, nous y travaillons. Mais la crise actuelle a mis en évidence de mauvais réflexes de protectionnisme. Et inversement, retour de balancier, toutes les forces de financement se sont maintenant renforcées pour converger vers une solution globale. Il reste du chemin à parcourir, les essais de phase II et III ne font que commencer. Une prévision raisonnable prend en compte une disponibilité au cours du second semestre 2021. Rien n’est gagné, et l’impact social et économique reste majeur, le combat est bien politique et industriel. L’Europe doit être aussi le vecteur du progrès mondial, la concertation entre États et la mobilisation des industries de santé privées, sont requises. Mais l’éthique d’accès au vaccin que nous revendiquons en tant que médecins, est la seule position légitime face à la pandémie. Mais si en plus le bénéfice est lui aussi éthique, nous l’apprécierons également !
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EXERGUE : Les liens entre l’économique et l’éthique sont toujours complexes en santé. La crise actuelle a mis en évidence de mauvais réflexes de protectionnisme.
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