Lettre ouverte à Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, au Pr Christine Clerici, présidente de l’Université de Paris, et au Pr Philippe Ruszniewski, doyen de l’UFR de Médecine de l’Université de Paris.
Je viens d’apprendre que la soutenance de ma thèse se ferait « à huis clos ». Je suis abasourdi par cette nouvelle, qui me rend aussi sceptique que triste. Sceptique, d’abord. Sceptique, car s’il faut absolument veiller à réduire la propagation du virus Sars-Cov2 par tous les moyens utiles, cela ne doit pas conduire à des situations absurdes, par un excès de prudence abscons et une déresponsabilisation des décisionnaires de l’institution universitaire.
Sceptique car il existe une marge de manœuvre très large entre une soutenance publique sans limitation, et un huis-clos extrêmement violent, rien que dans sa terminologie.
Sceptique, car la soutenance d’une thèse a toujours été publique. Légalement d’abord. L’article 19 de l’arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat est explicite : « La soutenance est publique, sauf dérogation accordée à titre exceptionnel par le chef d'établissement si le sujet de la thèse présente un caractère de confidentialité avéré. » Voyez l’ironie de la situation. Il faudrait désormais demander une dérogation pour que la soutenance soit publique.
Philosophiquement, ensuite. Car si la soutenance d’une thèse est légalement publique, c’est parce que la science se doit d’être ouverte vers l’extérieur, sans compromis et sans entrave, afin que l’esprit critique et la contradiction puissent toujours y trouver leur place, et ne jamais tendre vers une forme d’ésotérisme. Ce qui nous apparaît aujourd’hui évident est pourtant le fruit d’une lutte contre l’obscurantisme qui a duré des siècles. Si le Covid nous rend prudents à juste titre sur bien des aspects, veillons à ce qu’il ne nous prenne pas tout, y compris des moments symboliques qui pourraient paraître dérisoires mais qui font écho aux fondements philosophiques de notre société.
Triste, enfin. Triste, car soutenir une thèse de médecine, ce n’est pas simplement soutenir un oral de vingt minutes. C’est « célébrer » l’aboutissement d’un cursus long de dix années d’exigence. Célébrer, cela peut paraître inutile, ou superficiel. Mais dans notre société, qui n’est pas faite d’automates, la place de la célébration est primordiale. Nous nous marions, nous commémorons, nous défilons, nous nous nous rassemblons, et cela depuis des millénaires. De tout cela, rien n’est utile. Et pourtant, tout est essentiel. C’est ainsi que nous faisons société.
Triste, car l’on ne passe sa thèse qu’une seule fois. Triste, car je voulais réciter le serment d’Hippocrate devant mes proches, qui m’ont permis de devenir qui je suis, qui m’ont accompagné tout au long de ce chemin, dont la thèse est le point final.
Triste, car le Covid nous a tout pris. Notre jeunesse, notre liberté d’aimer, notre liberté d’entreprendre, notre liberté de rire, et notre liberté d’être fiers.
Madame la ministre, Madame la présidente, monsieur le doyen, je ne vous demande pas là une dérogation, mon cas n’étant pas plus sérieux que les autres. Je vous alerte, et vous demande de remettre de l’intelligence et du bon sens dans la prise de décision, afin de ne pas participer davantage à la déliquescence de notre société et de ses déterminants.
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