Je suis triste de voir qu’on polémique encore à propos de l’Hydroxychloroquine en ne dissociant pas la passion de la raison. Remettons-nous dans la situation de février/mars 2020.
D’un côté, nous avons des médecins démunis devant ce virus qui emploient dans l’urgence un médicament mondialement utilisé depuis des décennies – en sachant très bien les précautions à prendre (du moins, je le suppose)- et qui n’avait pas encore trouvé le moyen « médiatique » d'être supprimé comme on sait parfois si bien le faire… pour le remplacer par un plus efficace ( peut-être ?) ou par un plus cher (assez souvent ?). Quoi qu’il en soit, bien que sans AMM pour cette indication, ils ont enfreint volontairement la loi et sur un faisceau de résultats chinois et de données d’études cellulaires, ils ont prescrit ce produit en pensant humainement et profondément qu’ils respectaient le « primum non nocere » en le donnant, faute de mieux, à leurs patients débutant un Covid 19. Combien cela a-t-il tué de malades ? Cela devrait se savoir… ?
De l’autre côté, nous avons des médecins attachés à une grande rigueur scientifique, lesquels sont très souvent chargés de prouver que les effets attendus d’un nouveau médicament apportent statistiquement un réel bénéfice aux patients non dû au hasard et qu’il pèse bien plus lourd que ses inconvénients. Entre nous, ce n’est pas évident et théoriquement merveilleux, sauf que certains scandales scientifiques et/ou financiers sont venus sérieusement ébrécher la confiance de bien des gens… En tout cas, les sources et raisons avancées par les « prescripteurs » n’ont en aucune façon satisfait leur rigueur scientifique.
La faute au Temps
À partir de là, nous avons tous assisté à une véritable catastrophe et, pour moi, plus que les querelles d'ego et un tas d’arguties, je pense que le grand fautif caché dans son coin est le « Temps ». Le véritable terrorisme actuel de l’Immédiateté, du tout tout de suite en appuyant sur une touche qui peut atteindre des millions de personnes a régné d’emblée avec une amplification médiatique incontrôlable et excessive.
On n’a pas pu faire prévaloir la raison. On a médiatisé les passions (c’est sans doute plus lucratif ?)
En effet, le « raisonnable », si on veut s’attacher à la rigueur scientifique, demande un temps énorme, ne serait-ce d’abord que dans l’élaboration d’un protocole. C’est extrêmement difficile et chronophage si on ne veut pas obtenir des résultats faussés par des « biais ». Les experts ne s’intéressent aux résultats que si - et uniquement si — la méthodologie est correcte. Elle passe avant les résultats. Ajoutez après cela tous les double-aveugles randomisés avec ou sans cross-over que vous voudrez, la notion de temps prend alors une dimension colossale totalement incompatible avec l’urgence d’une pandémie. Le groupe scientifique semble ne rien pouvoir offrir.
Et c’est là que le dialogue qui aurait dû avoir lieu n’a pas existé. Le temps manquant, on n’a pas su raccourcir la distance entre scientifiques « sachants « et « généraliste devant son patient », lequel oubliait le plus souvent que les premiers étaient, eux aussi, en face des patients de leurs services.
Horrible gâchis
Au contraire, on s’est ingénié à accroître la distance Paris-Marseille, substitut temporaire du Province-Paris avec une légère odeur de gilets jaunes en poussant un peu loin le bouchon de l’inconscient et presque un délit de faciès au travers de leurs présences télévisuelles. Total : un horrible gâchis où chacun avait ses raisons, l’éternel combat entre Science et Conscience. On n’a pas su utiliser au mieux cette distance, les uns en élaborant un canevas pour essayer de faire récupérer « une possibilité d’efficacité » sur des données de masse avec une fiche utilisable sans complication par les généralistes : « OK, utilisez bien mais donnez-nous ces renseignements, vous serez doublement utiles ».
Sauf que ces derniers donnaient le produit en tout début d’affection comme en Chine, en espérant éviter une aggravation, alors que, malgré la notion acquise à l’époque d‘une évolution biphasique, les sachants ont lancé une utilisation dans les formes déjà aggravées en espérant diminuer la mortalité. Un non-dialogue de sourds faisant interpréter cet essai comme une tentative « d’en haut » de couler le produit…
Résultat : le produit a été interdit et ôté de la circulation… sauf sur le Net où l’on sait ce qu’il en est des trafics et authenticités des produits !
Le temps passant, la polémique a prospéré. Le produit a continué d’être utilisé sur d’autres continents, même hors de ses indications princeps. Il a fallu plusieurs mois pour que des études à méthodologies satisfaisantes montrent qu’aucun effet bénéfique mesurable n’apparaissait de façon statistique et reproductible face à ce virus.
De tout cela, devant cet immense gâchis avec querelles d’ego médiatiquement entretenues, je constate que l’Homme a toujours eu une curieuse relation avec le Temps et son utilisation et que cela peut le rendre fou.
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