Courrier des lecteurs

Les déserts médicaux expliqués à Macron

Publié le 11/03/2022

Monsieur le président, vous avez fait récemment un déplacement dans une maison de santé de la France profonde, très certainement pour montrer l’intérêt que vous portiez à cette grave question que l’on appelle la « pénurie de médecins » et tenter peut-être de l’élucider. Mais en fait, c’est élémentaire Monsieur le président !

Dans les années 90, 100 000 médecins généralistes assuraient la permanence des soins. Aujourd’hui, en 2022, à peu près le même nombre n’assurent plus la même permanence ? Comment peut-on l’expliquer ? Eh bien, c’est très simple ; et c’est ici qu’il faut arrêter de se poser de multiples questions ou de faire semblant de le faire.

Voyez-vous, cette « pénurie » a une explication première et principale. Elle est avant tout la conséquence de la juxtaposition de deux générations : celle des médecins qui en ont sans doute trop fait (presque sans s’en rendre compte) et celle de ceux qui aujourd’hui trouvent beaucoup plus cool de ne pas en faire tant.

Il y a de plus en plus d’adeptes pour le salariat et de moins en moins pour la médecine libérale, plus de femmes installées aussi qui, pour beaucoup d’entre elles, ont une prédilection pour des semaines partielles et d’une manière générale, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, on notera une moindre propension à passer l’essentiel de son temps au travail. Ce phénomène d’ailleurs ne touche pas que la médecine.

Une pénurie relative

Donc, il faut reconnaître qu’il s’agit avant tout d’une pénurie relative, le nombre de médecins en activité n’ayant pas ou peu changé. Ce qui est certain, c’est que le fossé est devenu si large entre le travail fourni hier par les uns et celui fourni aujourd’hui par les autres que si l’on voulait retrouver une permanence des soins semblable à celle qui existait dans les années 2000, il faudrait tout simplement doubler les effectifs.

Ceci imposerait d’augmenter le numerus clausus… au point de faire entrer deux fois plus d’étudiants qu’il n’y en a actuellement dans les facultés. Il y a bien sûr une impossibilité matérielle à le faire, et si tant est que cela était faisable, il faudrait ensuite tenir compte de la durée des cursus…

Le problème est donc d’une complexité incontestable. Mais, de grâce, et une bonne fois pour toutes, cessons de parler de « pénurie de médecins ». Parlons désormais de « désaffection pour le travail sans limite d’hier ».

Ceci dit, on notera qu’énoncer cette vérité, n’est en rien une accusation des premiers pour avoir manifesté un zèle excessif, ni des seconds à qui on pourrait reprocher d’opter pour un mode de vie qui les préserve drastiquement et pour longtemps du burn-out (précisons, pour la médecine de ville essentiellement).

Cette situation que nous vivons aujourd’hui n’est d’ailleurs pas le fruit d’une volonté délibérée. On peut être assuré qu’il n’y a pas eu à la base une réflexion des nouvelles générations qui se seraient dit : « demain nous allons travailler moins que nos aînés » Non, c’est arrivé comme arrivent ces choses, insidieusement, par le principe des glissements sociétaux qui procèdent un peu de la même manière que les mouvements sociaux ou les révolutions. Les causes peuvent être présentes pendant plusieurs lustres et il ne se passe rien. Puis soudain, l’étincelle jaillit et le navire soudain change de cap !

Voici donc pour l’explication. Bien sûr ce n’est pas suffisant pour apporter au problème sa solution. Mais au moins, on tourne résolument le dos à l’hypocrisie qui consiste à feindre de ne pas comprendre ce qui se passe et de se poser de sempiternelles questions pour lesquelles les solutions risquent fort de ne jamais arriver. Nous ne sommes tout de même pas des cruches ! Ceci dit, il est possible qu’en abordant dorénavant ce problème avec lucidité, on finisse peut-être un jour par y voir plus clair.

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Exergue : Si l’on voulait retrouver une permanence des soins semblable à celle qui existait dans les années 2000, il faudrait doubler les effectifs.

Dr Bernard Riou Médecin généraliste, Vern-sur-Seiche (35)

Source : Le Quotidien du médecin