Durant la période de confinement général - muni de mon « laissez passer » pour une durée limitée à une heure et à proximité de mon domicile - je sortais en fin de journée prendre l’air. Résidant dans le 5ème arrondissement de Paris, je longeais les quais de Seine et passais quotidiennement près de l’Hôtel Dieu, hôpital qui, pendant des siècles a vu exercer en son sein de prestigieux cliniciens. Aujourd’hui le célèbre bâtiment est en grande partie désaffecté, peut être dédié à une fructueuse opération immobilière pour l’APHP. Le silence règne aujourd’hui en ces murs.
Ce silence me paraissait d’autant plus assourdissant qu’à ce moment même (Mars/Avril), les services de réanimation des autres hôpitaux de l’APHP – eux en activité - luttaient désespérément face à la première vague de patients atteints d’une forme grave de COVID-19. C’est donc, tout naturellement, qu’au cours de ces sorties pédestres, j’ai pensé qu’il y avait là une réponse future à l’éventuelle deuxième vague ou, comme on voudra, au réveil de l’épidémie comme on l’observe cruellement aujourd’hui.
Si beaucoup de reproches peuvent être adressés aux autorités politiques et médicales, il faut reconnaitre que d’emblée le but final a été clairement exprimé : éviter « à tout prix » l’engorgement des services de réanimation brutalement placés devant la nécessité d’un choix contraire à l’éthique médicale. Beaucoup continuent malgré tout à passer sous silence que chaque service de réanimation doté d’un nombre inextensible de lits, doit continuer parallèlement à admettre toutes les demandes de patients non-Covid-19.
Quand on voit passer en boucle sur les chaînes de TV continues, donnant son avis sur tout, ce personnage marseillais inquiétant, dont la vie professionnelle s’est déroulée derrière un microscope électronique sans avoir jamais eu la fonction de chef d’un Service hospitalier clinique, on ne peut qu’être irrité par cette confusion entretenue par les médias. Car, diriger un service clinique (médical ou chirurgical) est une profession spécialisée dont l’exercice est à des années lumières du métier d’un virologue épidémiologiste aussi bardé de distinctions soit-il. Outre la politique de soins qu’il pilote, la préoccupation première pour le responsable d’un service clinique en période de crise, est d’adapter tous les jours, les moyens humains et matériels dont il dispose selon la gravité de chaque cas et selon la durée prévisible d’occupation d’un lit. Ajuster en quelque sorte le contenu au contenant.
Durant les quelques mois de pandémie, les réanimateurs ont pu améliorer leur stratégie par l’usage précoce à haute dose d’oxygène, l’utilisation préventive des anticoagulants et des corticoïdes. Mais ces progrès, décisifs pour un certain nombre de patients, ne règlent pas la question du contenant : réanimation, soins de suite, rééducation ...etc. Il faudra donc se pencher avec un esprit nouveau sur cette cruelle « compétition » entre les candidats non-Covid à l’hospitalisation versus ceux qui, dans l’avenir, vont se présenter, avec un virus inconnu, libéré du permafrost par le réchauffement climatique, ou par un animal vecteur inconnu en Europe, chassé de son habitat habituel par la déforestation.
La question est donc : comment esquiver cette « compétition » morbide quand arrivera inévitablement une nouvelle pandémie ? Comment éviter la soudaine submersion de nos services hospitaliers ? Comment empêcher que soit interrompue l’activité habituelle au risque de retarder (voire d’annuler par leur mort) des soins préjudiciables aux patients inscrits pour une hospitalisation ?
Première option : Dédier dans chaque territoire un hôpital de réserve stratégique (HTRS) de 300 ou 400 lits totalement consacré à la survenue d’une catastrophe sanitaire. Fermé en période normale, il serait aménagé et instrumenté en matériel spécifique entretenu par une équipe technique sur place. Il serait immédiatement mis en activité à la moindre alerte par l’autorité politique. Le personnel de la réserve sanitaire peut y être préparé comme, par le passé, nous faisions des « périodes » de mise à niveau en tant que médecins officiers de réserve.
Naturellement les premiers contempteurs d’une telle idée ne manqueront pas d’avancer l’argument du coût logistique de l’opération. Argument parfaitement judicieux à condition de le comparer au coût des opérations de déplacement des patients d’une région à une autre effectuées par les services de santé des armées, sans oublier l’épuisement des personnels soignants, et le coût en matériel de réserve de nos hôpitaux.
Autre argument recevable, le recours possible d’un appoint de lits fourni par les établissements privés. Ils ont été sollicités partiellement et à retardement. Mais est-ce bien leur place ? Quel que fut le remarquable esprit patriotique de certains d’entre eux, et comme les services publics, ils pourraient être également épargnés par cette option et poursuivre leur tâche habituelle également d’intérêt public.
Deuxième option : elle est une réponse aux critiques avancées sur l’excès de coût de cette première option, pour autant qu’il soit avéré au plan humain et comptable : ces dernières années ont vu l’extraordinaire développement de la chirurgie dite « court séjour » incluant l’hospitalisation ambulatoire, mais aussi toutes les hospitalisations de courte durée, soit pour des explorations diagnostiques soit pour des soins de moins de 5 jours. Aujourd’hui, une bonne partie de la chirurgie orthopédique, par exemple, ne demande pas plus de durée de séjour de 4-5 jours pour les personnes indemnes de toute comorbidité. Ce serait donc la naissance dans chaque territoire, d’un nouveau type d’établissement hospitalier apte à une conversion rapide en centre d’accueil des nouveaux Covid ou à l’occasion de toute autre crise sanitaire nationale puisque l’ensemble de l’établissement peut être libéré de ses occupants en quelques jours sans aucun dommage pour la poursuite de leurs soins.
Nouveau type d’hôpital en effet, car il suppose une structure architecturale innovante particulière par sa réversibilité, sa conversion d’unités conventionnelles démontables en une pléthore d’unités de soins intensifs et de réanimation reconfigurées à leur place. Un tel projet ne manquera pas d’intéresser les bureaux d’architectes spécialisés. En tout cas, vu la répétition prévisible de ces pandémies, il serait dommageable que les pouvoirs publics n’engagent pas un débat sur le principe dont le seul motif est de fournir des soins « de masse » aux victimes d’une future crise sanitaire sans grever l’organisation des programmes des services hospitaliers.
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