Courrier des lecteurs

Pénurie médicale : pourquoi n'ont-ils rien fait ?

Publié le 11/03/2022

La désertification médicale est devenue un sujet phare de la campagne présidentielle 2022. Les propositions pour comprendre et pallier à ce malheureux constat ont fleuri dans toutes les bouches de nos candidats avec pour tous des solutions miracles pour repeupler de jeunes médecins toutes nos villes et nos campagnes. Deux articles, parus l’un dans Libération (24/02/2022), l’autre dans le courrier des lecteurs du Nouvel Observateur (16 au 23 février 2022) m'ont décidé à répondre - avec un peu d’humour et beaucoup de mauvaise foi - à ces deux experts en désertification médicale.

Dans Libération (« Santé : la rupture, c’est maintenant », par Alexis Dussol), M. Dussol, expert en sciences médico-sociales, analyse avec clarté et rigueur toutes les erreurs commises depuis 50 ans par les ministres de la Santé qui se sont succédé à cette noble tâche (huit quinquennats et septennat et six présidents).

En tête de gondole, Mme Alice Saunier Seité qui institue le fameux numerus clausus à partir de 1971 : avec son lot de reçus mais « collés quand même » et la vague d’étudiants recalés gonflant les effectifs des DEUG sciences biologiques de toutes les facs de France. M. Mattéi, lui est responsable du désengagement des médecins la nuit et le dimanche ! Même pas merci aux malheureux qui, comme moi, amélioraient leur ordinaire en travaillant dans un service de garde 24 heures sur 24… Mme Bachelot quant à elle transforme, grâce à la T2A (ne me demandez pas à quoi cela correspond, depuis 20 ans je cherche en vain) l’hôpital sanctuaire en une entreprise florissante et performante.

Dans le lot, M. Dussol oublie l'éphémère Pr Schwartzenberg qui voulait la libéralisation des drogues douces : bonjour l’ambiance dans les salles de gardes s'il avait eu gain de cause ! Et le très médiatique Dr Kouchner et sa loi sur les droits des malades nous obligeant de descendre de notre piédestal pour tenter d’expliquer pourquoi nous nous étions trompés ; et bien sûr que cela ne se reproduira plus… Enfin, M. Douste-Blazy qui lui n’a rien fait, du moins je n’en ai aucun souvenir, peut-être maire de Lourdes pour les miracles ? En conclusion, voilà un réquisitoire sérieux mais peu de solutions.

Chez le lecteur du Nouvel Obs', l’analyse est abrupte et directe. « Les jeunes médecins veulent tous s'installer à Arcachon ! » Je ne connais pas Arcachon mais bon, la Côte d’Azur c’est pas mal aussi… Plus sérieusement, je lui répondrai que si, à mon époque, j’avais eu la possibilité de choisir mon mode et lieu d’exercice, j’aurais probablement privilégié un endroit sympa avec des écoles, des lycées, des commerces, un CHU proche, des confrères spécialistes à l’écoute pour me seconder. J’aurais imaginé une maison médicale « idéale » avec des collaborateurs associés et des paramédicaux pour partager les locaux.

Mais voilà, en 1981, nous étions pléthore en fin de cursus et l’hôpital public, déjà désargenté, concédait à nous garder en tant qu’attaché ou stagiaire interne pour un salaire mensuel de 1 250 francs (le SMIC étant aux environs de 2 900 francs) et pour un mi-temps de 35 heures par semaine.

Le libéral nous tendait les bras, mais attention, ce n’était pas l’amour fou. Des règles tacites, plus ou moins éditées par le conseil de l’ordre des médecins, nous conseillaient dans notre installation. 1- De ne pas faire de l’ombre à celles et ceux déjà installés, de ne pas squatter à côté de celui que vous aviez remplacé trois ans auparavant, de peur de lui détourner sa clientèle. 2- Pas d’association avec les spécialistes : la chasse à la dichotomie était ouverte. En bref, hors de question d’enrichir le même cardio, radio, dermato, gynéco, etc. La liste est longue et ils étaient nombreux eux aussi, du moins à Nice.

J’ai créé mon cabinet dans un quartier populaire que l’on disait en pleine expansion urbaine (on construisait des barres HLM). Nous étions 15 à avoir eu la même idée, on exerçait souvent dans le même groupe d’immeuble, cela pouvait entraîner des amitiés comme des haines féroces. Les patients se faisaient rares, j’avais pas mal de temps libre pour lire, me former, travailler la nuit et le dimanche, histoire de pouvoir payer les traites mensuelles et de recruter quelques clients en mal de généraliste.

Changement de paradigme

Et puis ont succédé 20 dernières années à être corvéable à toute heure, à avoir de plus en plus de patients et de moins en moins de collègues, partis en retraite ou sous des cieux plus cléments. Je n’ai plus le temps de lire, de me détendre, voire de partir en vacances. J’ai accompagné pendant 15 ans de jeunes internes en médecine générale, désireux d’apprendre comment ne pas reproduire le profil aliénant du vieux médecin exerçant seul 60 heures par semaine. Là par contre, je pense avoir pas mal réussi…

Nous avons abordé tous les sujets, ceux polémiques dont on parle peu : comment faire évoluer la rémunération des jeunes médecins, le tiers payant généralisé, le paiement à l’acte totalement obsolète, la charge informatique et administrative croissante, le piège des primes Sécu et des bonnes pratiques édictées par une lunette déformante administrative, la faible protection sociale des médecins libéraux.

J’ai approuvé leur vision très pragmatique de leur futur travail, le cadre et le lieu qu’ils peuvent « encore » choisir : le salariat pour les uns, les autres exerçant dans des maisons de santé pluridisciplinaires, assistés de secrétaires et d'assistants médicaux, avec une formation rémunérée, du temps pour la recherche et l’enseignement.

Je pars en retraite le 1er juillet, je n’ai pas trouvé de remplaçant. Finalement, Nice n’est pas Arcachon !

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En 1981, les patients se faisaient rares et les confrères étaient nombreux... Aujourd'hui, je n’ai plus le temps de lire, de me détendre, de partir en vacances.

Dr Jean-Claude Caraveo Médecin généraliste, Nice (06)

Source : Le Quotidien du médecin