L’interview de Gaétan Lafortune diffusée dans le journal du Quotidien du Médecin (Grand entretien, QDM n° 10051 du 20 décembre 2024) est très intéressante à plusieurs titres. En effet il met l’accent sur une problématique régulièrement débattue : la pénurie de professionnels de santé.
Son éclairage nous montre qu’en ce qui concerne le nombre de médecins notre ratio est bien inférieur à celui de la moyenne européenne (3,2/1 000 habitants en France, et 4,2/1 000 habitants pour l’Europe). En nuançant ces données, du fait de la non prise en compte des internes de l’Hexagone dans ce total, nous voyons que le nombre d’omnipraticiens n’est pas le plus faible d’Europe. Comme le souligne cet économiste, nous devons faire face à un écueil, celui du vieillissement de la population. De ce fait on comprend aisément que cette situation nécessite une implication plus importante des professionnels de santé vis-à-vis d’une frange de citoyens ayant des pathologies multiples.
Des pistes pour réduire la fracture sociale
Par ailleurs, M. Lafortune donne un petit coup de canif, de manière subliminale, à la liberté d’installation en expliquant que les médecins s’installent plus facilement en zone urbaine plutôt qu’en zone rurale.
Il donne quelques pistes pour réduire la fracture sociale dans le domaine de la santé. Ainsi, il préconise le développement des maisons de santé en milieu rural (ce n’est pas clairement exprimé, mais on le devine), et prône le choix d’étudiants de proximité (on aide à leur formation dans ce cas) pour ces structures. L’économiste met en avant la piste d’une poursuite de l’activité professionnelle au-delà de l’âge légal de la retraite (elle est de 67 ans, bien loin des 55 ans des cheminots).
Ce qui intéressant également, c’est le fait que ce brillant énarque mette en avant deux problématiques (flexibilité du travail, et rémunération), mais il ne donne aucune piste pour améliorer ces deux paramètres.
Plusieurs points à discuter
Il est parfois utile de quitter sa tour d’ivoire pour mieux comprendre une situation complexe. Notre cher M. Lafortune oublie plusieurs points qui méritent d’être discutés.
Dans les grands centres urbains les banlieues sont les grandes oubliées de notre système de santé
Tout d’abord en ce qui concerne les déserts médicaux ils ne sont pas nécessairement en milieu rural, mais aussi en milieu urbain. Ainsi de très nombreuses préfectures et sous-préfectures souffrent de pénuries de professionnels de santé. De plus dans les grands centres urbains les banlieues sont les grandes oubliées de notre système de santé. Les médecins désertent ces zones peu sécurisées car ils se font fréquemment menacer ou travaillent dans ces secteurs avec la peur au ventre.
Et là, les pouvoirs publics, prompts à s’afficher dans les médias pour donner des conseils, ne sont pas aptes à trouver des solutions pérennes, et sont uniquement capables de faire « des marches blanches ». Paris est devenu un désert médical pour les patients de classe moyenne car les médecins qui y travaillent pour faire face aux prix exorbitants des loyers se voient contraints de faire des dépassements d’honoraires, ou de pratiquer un autre type de médecine moins conventionnelle mais plus rémunératrice (cas de la médecine esthétique).
L’autre point est le paradoxe souligné entre le nombre de médecin qui est assez important dans l’Hexagone (en comptant les étudiants) par rapport aux autres pays.
À ce niveau il est nécessaire de faire une mise au point car plusieurs éléments doivent être pris en considération. La France détient un triste record du temps de travail concernant les salariés sur un plan européen avec l’avant-dernière place (1 673 heures de travail par an). Dans ce contexte on comprend facilement que les médecins veuillent également avoir ce privilège, et profiter de leur famille. Nous ne devons pas perdre de vue (et c’est mon cas) que les médecins généralistes d’autrefois sacrifiaient leur famille, et ne comptaient pas leurs heures (souvent plus de 70 par semaine) car ils avaient la satisfaction d’améliorer la santé de leurs patients. Actuellement cette situation est bien révolue avec des malades, pour certains, exigeants revendicatifs. En augmentant le nombre de praticiens, mais en réduisant le temps de travail on ne majore pas l’offre de soins qui était importante avec des seniors (ils partent ou vont partir à la retraite ce qui va créer un vide) qui travaillent plus de 50 heures. En outre, de nombreux praticiens ont choisi des filières de prévention, de soins, ou travaillent dans des administrations pour être plus libres (RTT notamment plus facile à obtenir).
Ce qui est également source de discussion, c’est le fait que des lois devaient être promulguées pour faciliter le cumul travail retraite pour les médecins ayant plus de 67 ans (des volontaires qui n’ont pas froid aux yeux, et qui sont rarement remerciés pour leur action). Or actuellement on décourage financièrement les collègues qui veulent travailler plus, et le projet de loi est encore dans les cartons.
Enfin les maisons de santé sont des solutions possibles, mais comme l’a souligné notre économiste il est important également de discuter d’un sujet qui fâche nos élites : la juste rétribution du médecin libéral.
Et là, on assiste à une levée de bouclier des caisses d’assurance maladie, mais aussi des médias qui ne comprennent pas que qualité des soins rime avec juste rétribution.
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