La pathologie inédite qu’est l’infection Covid-19, dont on ignore presque tout de l’évolution, ce qui laissait présager le pire, s’est manifestée par une panique qui s’est emparée des deux derniers ministres de la Santé et s’est traduite par des déclarations contestables scientifiquement voire mensongères. Si les politiques n’ont pas été à la hauteur, on ne peut que constater que les spécialistes médicaux consultés soit par le ministère soit par les médias soit par le Chef de l’État, n’ont pu trouver un socle commun qui aurait simplifié la tâche des politiques, d’autant que les ministres impliqués étaient médecins et a priori aptes à saisir les nuances proposées par les analyses médicales.
Bref, les spécialistes médicaux consultés n’étaient pas d’accord sur une stratégie à adopter et schématiquement se sont divisés en deux camps : les partisans du Pr Raoult, défendant essentiellement une approche thérapeutique précoce et préventive des complications viscérales, et ceux (les plus nombreux) défendant surtout l’impérieuse nécessité de faire face à la pénurie de lits de réanimation pour pouvoir traiter la totalité des formes graves.
Tous ces spécialistes étaient certainement de bonne foi : ils partageaient un objectif commun mais ils se sont écharpés au fil du temps sur les moyens d’y aboutir. Il a certainement manqué l’autorité d’un ministre de la Santé qui soit suffisamment compétent pour pouvoir s’imposer comme un arbitre reconnu par tous.
Pour faire court, se sont affrontés les pro-Raoult et les anti-Raoult. L’argumentaire des pro-Raoult a été excellemment exposé par R Stainville dans Valeurs actuelles (n° 4358), en s’appuyant notamment sur le CV de nobélisable du Pr Raoult à faire pâlir de jalousie le cénacle pléthorique des virologues, infectiologues et réanimateurs parisiens (dans lequel s’étaient glissés deux Lyonnais et un Suisse…) largement sollicités par les chaînes TV. Las ! Le passage très attendu du Pr Raoult sur la chaîne LCI s’est avéré très décevant : on attendait que ses résultats soient clairement exposés, et notamment qu’ils s’appuient sur une comparaison avec un groupe témoin dûment apparié au groupe traité : que nenni ! On ne sait toujours pas à ce jour si la baisse de la charge virale (résultat très intéressant en soi mais insuffisant pour crier victoire), dûment constatée chez le groupe traité par la chloroquine et son voisin chimique ne se voit pas également de façon spontanée chez le groupe témoin ?
Par ailleurs les propos rapportés du Pr Raoult, s’ils ont bien été prononcés, concernent l’impérialisme supposé des essais randomisés qui n’auraient pas été nécessaires pour l’adoption de 90 % des médicaments infectiologiques ? On ne demande qu’à le croire. Mais le rejet de principe des essais randomisés serait affligeant : les dégâts bien connus du Distilbène, prôné dans les années cinquante pour éviter les fausses-couches attribuées à un déficit hormonal et dont l’autorisation de mise sur le marché a perduré en France pendant 25 ans après que 5 essais randomisés faits entre 1950 et 1955 aient démontré l’inefficacité de ce traitement, sont l’exemple caricatural de l’apport positif des essais randomisés (...)
Enfin – last but not least — surgit un soutien fort et inattendu qu’est la lettre de JD Troyat parue dans le n° 4359 de Valeurs Actuelles, qui nous rapporte l’expérience très positive et unanime des institutions sanitaires officielles et de l’Ordre des médecins portugais en faveur de la chloroquine proclamée être efficace et sans danger… mais des données plus précises seraient les bienvenues.
Essais randomisés, le must en matière de recherche
Du côté des anti-Raoult, nous avons sélectionné deux plaidoyers qui utilisent des mots très forts pour déboulonner la statue Raoult ! La Pr Lacombe, selon R. Stainville, se dit « écœurée que l’on prête l’oreille aux élucubrations de ce spécialiste… » Bigre ! Le Dr Alexandre vante le caractère impérieux et incontournable des essais randomisés négligés par le Pr Raoult.
Les essais randomisés sont certes le must en matière de recherche clinique, mais ils ne sont pas toujours applicables et parfois éthiquement condamnables. Par exemple il n’était évidemment pas possible de soumettre le tabagisme à un essai randomisé pour prouver son implication causale dans le cancer du poumon, relation causale qui a pu être cependant formellement affirmée par des approches non expérimentales ! Dans les urgences sanitaires gravissimes où la mort était l’issue rapide et inéluctable, telle que l’était le SIDA il y a 20-30 ans, il ne venait à l’esprit de personne de retarder l’essai d’un médicament présumé efficace et cela sans attendre les résultats lointains d’un essai randomisé.
Mais ce qui est regrettable, c’est que ce chantre de la méthodologie la plus efficace possible (à laquelle adhère la très grande majorité des médecins) ne se place que sur le plan des principes et, à l’appui, commente des essais cardiologiques (...). On attendait, plutôt que l’histoire des essais randomisés, une analyse plus fine des conclusions qui sont tirées des études observationnelles publiées avant l’émergence plus tardive d’essais randomisés : en particulier celle de l’essai publié dans le Lancet qui s’est avéré reposer sur des données non valides, ce qui n’a pas empêché le ministre français de la Santé et l’OMS de sur-réagir instantanément contre la chloroquine sans analyse minutieuse préalable, alors que le Pr Raoult demandait un délai de 48h pour analyser cette production !
Les enseignements de Recovery
Depuis, l’essai randomisé britannique Recovery a été l’arme brandie par les adversaires de la chloroquine. Cette étude s’adressait à des patients Covid-19 hospitalisés répartis en 5 groupes (4 traitements dont la chloroquine vs placebo). Une analyse intermédiaire par une commission « indépendante » mais sollicitée par l’impatience des organismes sanitaires extérieurs, décide de l’arrêt de l’essai de la chloroquine en invoquant son inefficacité à partir de deux chiffres : le groupe chloroquine affiche une mortalité de 25,7 % contre 23,5 % pour le groupe placebo (différence faible et statistiquement non significative, qui ne permet pas théoriquement de conclure, sauf si la puissance de l’essai est suffisante pour pouvoir conclure à l’absence réelle d’effet protecteur de la chloroquine : mais cette information capitale n’est pas livrée !). Un deuxième commentaire vise les chiffres énormes de mortalité (la mortalité de la Covid-19 en population étant estimée à 0,5 %, la mortalité tant spontanée que sous chloroquine est ici multipliée par un facteur 50 ! ) qui correspondent manifestement à des patients à très haut risque ( en clair âgés et porteurs de pathologies déjà avancées ?), et tout le monde savait déjà qu’il était contre-indiqué de donner de la chloroquine à des porteurs de pathologies cardiaques : il était donc discutable d’inclure un groupe chloroquine chez des malades hospitalisés donc plus ou moins porteurs de risque. En fait, si le protocole ne prévoyait pas expressément l’inclusion de sujets à risque, ceux-ci avaient quand même la possibilité d’être inclus sur décision individuelle des soignants.
Voilà des commentaires plus proches de notre sujet qui soulignent que l’auréole de l’essai randomisé n’est pas une garantie de perfection méthodologique, particulièrement au niveau des critères d’inclusion et surtout de leur application fantaisiste.
En conclusion, on aura bien compris que les deux camps sont incapables de nous fournir une démonstration définitive et sans appel de la méthode qu’ils défendent. On remet la balle au centre, on appuie sur la touche Reset… et que le meilleur gagne, mais en jouant avec les mêmes armes méthodologiques si possible…
Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
EXERGUE : «Les deux camps sont incapables de nous fournir une démonstration définitive et sans appel de la méthode qu'ils défendent»
Appendicite et antibiotiques
La « foire à la saucisse » vraiment ?
Revoir la durée des études de médecine
Réformer l’Internat et les hôpitaux