Depuis toujours les sages, chamans, guérisseurs en tout genre ont toujours eu un statut particulier car tout le monde veut se faire soigner, guérir, personne ne veut ni souffrir, ni mourir. Ces « hommes médecine » allaient chercher secrètement à l’aurore les simples qui pouvaient guérir, ou rendre malade. La transmission orale du maître se perpétuait auprès d’élèves soigneusement choisis ce qui nécessitait une initiation rigoureuse, vérifiant que la connaissance transmise n’allait pas dériver vers la magie noire.
Pour la médecine, il en est de même. Les étudiants se pressent à l’entrée des facultés, pour accéder au Savoir. À l’hôpital, ils découvrent la transmission Maître à élève. Les réformes passent, les professeurs enseignent et le « système » formate à une approche classique où l’on progresse en suivant les voies qu’ont suivies les aînés. Pour certains « c’était mieux avant », pour d’autres « les choses ont changé » et les connaissances se sont élargies, les sciences fondamentales, la génétique et l’IA qui se profile semblent reléguer l’anatomie, l’interrogatoire, l’examen clinique, l’humain aux oubliettes.
La phrase de Benjamin Franklin reste d’actualité : « Tu me dis, j’oublie, tu m’enseignes, je me souviens, tu m’impliques, j’apprends »
Finalement, si un patient « va mieux », n’est-ce pas le but ultime de la médecine ? Ce dialogue singulier médecin-patient vaudra toujours mieux que l’image d’une « grosse machine à fabriquer des algorithmes, avec à ses côtés un homme et un chien. L’homme est là pour nourrir le chien et le chien est là pour empêcher l’homme de toucher à la machine ».
Un jour, le patron, le Maître, bute sur les mêmes questions que nous, où ne répond plus à une demande que nous entendons chez nos patients. Il faut faire un choix. Soit on reste à l’hôpital, dans la hiérarchie. Comme à l’armée, on fronde, mais on obéit. C’est confortable, la paie tombe à la fin du mois, on arrondit éventuellement son salaire avec des gardes, des expertises, parfois des consultations privées, lorsque c’est possible. On cumule des points de retraite, on fait sa « carrière » à l’hôpital. Mais il n’y a pas de la place pour tout le monde, dans les « bons services ». De plus, toute la médecine ne peut pas se faire à l’hôpital !
Si le système ne répond pas ou mal à une vision de la façon dont on veut exercer sa profession, être libre des ses choix thérapeutiques, ne plus recevoir d’ordres, voyager, gagner de l’argent… on quitte l’hôpital pour le privé. Mais le privé n’est pas une vision manichéiste de la santé. On ferait la bonne médecine à l’hôpital et on gagnerait du fric en ville.
On peut faire bien « en ville », parfois mieux, plus vite, moins cher, contrairement aux attaques répétées des gardiens d’une médecine gratuite pour tous. Cette médecine, soi-disant gratuite, a bien sûr un coût. À force de ne pas s’occuper de l’argent et de la gestion (pouah, c’est sale!) nos mandarins ont laissé la place aux administratifs, qu’ils regardaient de haut. Ces cadres administratifs ont développé une administration de la santé, indispensable au bon fonctionnement des centres hospitaliers dont la gestion est devenue de plus en plus complexe, mais aussi de l’exercice libéral. Les réformes successives, dont la loi HPST, ont donné des pouvoirs de plus en plus importants à ces structures administratives dont les contraintes éloignent les médecins de leur métier de soins, pour tous privés et publics et d’enseignement et de recherche pour les hospitaliers.
Les médecins privés, à la différence de leurs confrères hospitaliers, doivent payer leurs locaux de consultation, leur collaborateurs (trices), leurs assurances, leurs charges sociales… C’est le coût de la liberté.
Le désamour des Français face à leurs médecins, publics ou privés, s’explique par de nombreuses raisons. La sécurité sociale est basée sur le fait que nous serions tous égaux face aux soins par le mécanisme de la solidarité. Or la réalité des faits ne correspond plus à l’axiome de départ. Attente aux urgences, fermeture d’hôpitaux de proximité, numerus clausus repoussant les consultations aux calendes grecques, déserts médicaux.
Une opposition artificielle
La population pense toujours que les médecins accomplissent un « sacerdoce » : pas de limitation de temps ni de disponibilité pour leur service, pas de rémunération proportionnelle à la tâche accomplie avec son corollaire : une revalorisation salariale inappropriée et insuffisante par rapport à nos voisins européens.
Les jeunes médecins, qu’ils soient libéraux où hospitaliers, ne veulent plus travailler comme leurs aînés et veulent garder du temps libre pour eux, pour leur famille, leurs enfants, leurs loisirs. Leur nombre diminuant l’équation est insoluble, et l’augmentation récente du numerus clausus ne prendra effet que dans 10 ans.
Ivan Ilitch dans « Némésis médicale » avait dit de façon prophétique en 1975 que les médecins jouaient « au moins en partie le rôle du sorcier d’autrefois ». « Quand on les montre à la télévision, les exploits héroïques de la médecine figurent une sorte de danse de la pluie pour des millions de gens, » poursuivait-il… Pour ce qui est du désamour, nos patients assistent à des débats télévisés ou les spécialistes, particulièrement depuis la pandémie, débattent de résultats d’essais thérapeutiques, de la nécessité de groupes témoins. Ils entendent parler de l’implication de l’industrie pharmaceutique dans la conduite des soins et des liens d’intérêt des médecins avec les Big Pharm. Ils entendent que les grandes revues scientifiques internationales publient des articles qu’ils sont ensuite obligés de retirer. Qui croire ?
Tous ces éléments contribuent à jeter un discrédit sur notre profession et à rendre les patients encore plus inconfortables face aux blouses blanches. Dostoïevski disait dans les frères Karamazov : « Il y a trois forces qui subjuguent à jamais la conscience des faibles : le miracle, le mystère et l’autorité » et le patient, en position de faiblesse face au médecin est exposé à ces trois forces. La cacophonie médiatique ne fait rien pour les rassurer.
L’état « providence », face à la population habituée par les réseaux sociaux à un assouvissement immédiat de ses besoins, ne va permettre de résoudre demain la crise actuelle. Mais de président en président, de ministre en ministre, de directeur de la santé en directeur de la santé, les années ont passé et le gouffre est devenu vertigineux entre ce qu’il aurait fallu faire et ce qui l’a réellement été.
L’opposition continue d’être faite par les tutelles entre les « bons » médecins publics et les médecins privés, exerçant une médecine à « but lucratif ». Le récent Ségur de la santé a d’ailleurs rédigé deux rapports distincts, le premier pour l’hôpital public et le second pour le privé, comme si tutelles, privé, public, sécurité sociale, mutuelles… tout le monde semble avoir oublié que la médecine, c’était fait pour soigner les malades.
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