Courrier des lecteurs

Réformes à la fac, étudiants sous pression au cabinet

Publié le 22/04/2022

Les pouvoirs publics ont de tout temps eu la volonté de légiférer et de réformer dans le monde de l’éducation. Fort heureusement, dans ce domaine, les bases restent inamovibles. Les enfants ont et devront toujours apprendre à lire et écrire à l’âge de 6 ans.

En médecine, diverses réformes ont modifié considérablement le paysage estudiantin au sein des universités. C’est ainsi qu’une d’entre elles concerne le premier cycle des études. Le numerus clausus a disparu au profit d’un système de L.AS et PASS qui est basé sur les résultats scolaires de terminale (parcours sup). Parallèlement, une réforme du deuxième cycle des études médicales est, depuis peu de temps, sur les rails, cela après quelques atermoiements.

Des stagiaires stressés

Ce changement a pour conséquence de concentrer la connaissance des différentes spécialités sur un laps de temps très court. Cette situation est, pour certains étudiants, la source d’un stress extrême, et en tant que maître de stage, je reste très surpris par les conséquences engendrées par cette nouvelle donne.

Le second cycle est une occasion pour les étudiants de mieux connaître différentes spécialités au décours de stages. De cette manière, ils peuvent découvrir et avoir une révélation dans un bon sens en ce qui concerne certaines pratiques (cas de la médecine générale) pour lesquelles ils ont des idées erronées ou très parcellaires.

De ce fait, cette initiation est souvent fondamentale pour mieux appréhender une spécialité que ces jeunes pratiqueront toute leur vie. Aussi de nombreux maîtres de stage en médecine générale mettent un point d’honneur à leur montrer toutes les facettes et les travers de leur profession pour qu’ils puissent avoir une idée juste de cette spécialité. C’est mon cas, et sans orgueil mal placé, je fais mon maximum pour qu’ils puissent à la fin de leur stage suturer, infiltrer, effectuer des intramusculaires, pratiquer la mésothérapie, et faire des prises de sang.

Cependant, force est de constater que ces futurs confrères sont souvent très préoccupés par l’examen classant national (ECN) qui détermine leur futur professionnel, et dans de nombreux cas ils sont absorbés par leurs cours plus que par leur stage. C’est la raison qui pousse certains à chercher des stages nécessitant une présence minimaliste. Cette situation, pas nécessairement observée de manière flagrante avant la réforme, est devenue plus marquée depuis ce changement.

Acceptant depuis plus de 10 ans (on ne m’envoyait pas d’étudiants auparavant car j’étais dans une zone rurale) ces jeunes et ayant accepté de les loger gratuitement, je me suis rendu compte du stress engendré par l’examen national classant (ECN).

Bachoter plutôt qu'écouter…

Un exemple où l’angoisse générée par les ECN devient invivable durant la période de stage : il y a quelques mois de cela, cette perception de mal-être engendré par ce futur « concours » m’a quelque peu désarçonné, et a été à l’origine de certaines interrogations. J’ai reçu une jeune étudiante joviale, mais assez peu loquace ; juste quelques mots très simples et réfléchis. Cette dernière s’est adaptée très rapidement au rythme du cabinet (il est assez soutenu), mais je me suis rendu compte que son but était, avant tout, de travailler « sa collection » de cours de spécialité.

De ce fait, au départ, dès la fin des consultations elle partait rapidement pour s’enfermer dans son studio. En ayant pris plus confiance en elle, elle s’est positionnée lors des consultations pour essayer de les écourter. Elle se levait comme un ressort dès que la problématique avait été à ses yeux résolue, cela pour éviter tout questionnement entre le patient et le maître de stage.

Cette attitude avait pour but de réduire la durée du colloque singulier entre patient et médecin, ce qui est un élément parfois indispensable pour une adhésion thérapeutique ou une meilleure compréhension d’une pathologie, comportement dans le simple but de se précipiter dans les bouquins pour avoir l’idée d’un classement futur de qualité.

Ce qui est très perturbant pour le généraliste qui accueille ce type d’étudiant, c’est de voir que la consultation devient un fardeau pour ce jeune, et modifie quelque peu les conditions de prise en charge des patients qui partent en étant quelque peu frustrés (le généraliste est cependant toujours le chef d’orchestre qui impose son rythme).

Une ligne rouge à ne pas franchir

Bien entendu, le praticien enseignant donne également des lignes directrices pour éviter que la ligne rouge soit franchie. Néanmoins, au-delà de cet exemple, nous voyons que les étudiants sont contraints de connaître sur deux années seulement un programme concernant la totalité des spécialités médicales, une gageure selon moi.

Il est fort à parier que cette réforme risque rapidement d’avoir des conséquences psychologiques sur ces jeunes que l’on accuse par ailleurs de tous les maux en ce qui concerne le coût de leurs études, et que l’on souhaite envoyer dans des déserts médicaux.

Aussi, en plus de mon activité professionnelle et de ma fonction d’encadrement de stage, je vais m’assurer du bien-être physique et psychique des étudiants qui me sont ou m’ont été confiés. Nous n’avons pas seulement la charge d’un enseignement auprès de ces jeunes, nous avons le devoir de les encadrer tout le long de leur cursus.

Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr .

Dr. Pierre Frances, Médecin généraliste Banyuls-sur-mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin