Il faut avoir été un ministre de l’Éducation Nationale ignorant de ce qu’est la réalité de notre identité culturelle pour avoir tenté de supprimer l’enseignement du grec et surtout du latin dans les classes secondaires. Tous ceux qui, dans ma génération, ont suivi cet enseignement sont éminemment reconnaissants à ces professeurs qui nous ont facilité la compréhension du langage dès l’entrée en matière de l’apprentissage de la médecine. Mais plus encore, c’est justement grâce à ces bases étymologiques que nous avons pu d’emblée comprendre la démarche médicale. Je pense aux stages hospitaliers de la première année, où suivre les visites de nos aînés n’était pas un douloureux parcours abscons.
En médecine, produire un acte technique, même parfait, ne suffit pas
Plus tard, je me suis rendu compte que le talent ne suffisait pas pour conduire un traitement jusqu’à son maximum de chance de succès pour le seul profit du patient. Que produire un acte technique - aussi parfait soit-il - ne suffit pas. Que ne pas tenir compte du besoin réel des patients risque de fournir une solution inadéquate voire dangereuse.
Les exemples sont multiples de renoncement à un traitement lourd de personnes psychologiquement fragiles mal préparées à cette épreuve. Ou encore d’une indication opératoire de confort qui conduit l’intéressé à un licenciement. Risque qui pouvait être appréhendé si l’information avait été conduite jusque dans ses recoins les plus détaillés. Il suffit d’avoir lu à l’adolescence les pages de la « Comédie Humaine » de Balzac pour savoir que la décision médicale va rencontrer de nombreux cas de figure sociaux.
C’est spécialement le lot des confrères généralistes. Le talent réduit à une parfaite exécution technique est contraire à la pratique médicale. La culture scientifique ne s’acquiert pas que dans les manuels de médecine, voire même dans sa pratique. Les plus beaux exemples de l’esprit scientifique se trouvent d’abord dans la grande Histoire des sciences exactes. Je pense aux travaux de Lamarck et Darwin, du combat mené par tous ces scientifiques du XIXe siècle. Songez à toute l’énergie dépensée par notre Pasteur national pour finalement convaincre ses détracteurs que ses hypothèses étaient bel et bien justes, non pas par la force de ses convictions, mais parce qu’elles étaient argumentées par des preuves vérifiables par tous.
Cette chasse acharnée de la preuve avérée, on la trouve plus près de nous dans cette période faste du développement de la physique quantique dont on a vu l’apogée par la découverte de l’existence du boson de Higgs. Et l’aventure ne fait que commencer.
La garantie d'une médecine bien comprise et bien faite
La connaissance de la « grande Histoire », celle de notre patrie est également un établi exceptionnel comme exemple de ce qu’il faut faire ou pas pour le choix d’un collaborateur ou d’un successeur. Les dernières péripéties gouvernementales ne manquent pas d’exemples affligeants. Le mauvais choix de collaborateurs sous l’emprise du milieu, la nomination par complaisance amicale ou familiale, peut annuler à terme le travail d’élaboration et de construction de plusieurs générations : un mauvais choix de personnes conduit à terme à de mauvais projets. Tel bâtisseur d’une école – s’il était encore parmi nous – pourrait assister impuissant au naufrage de son œuvre dans les abysses. Mais a-t-il bien choisi ses successeurs ?
La connaissance élargie au-delà de la maîtrise de notre pratique, la culture générale, est la seule garantie d’une médecine bien comprise et bien faite. Mais n’est-ce pas le cas de toute activité professionnelle ? Je me réjouis d’observer qu’une Faculté de médecine a donné la possibilité d’un rattrapage du latin dans ses propres murs. Je me réjouis d’apprendre que dans leurs propos certains de nos collègues font des références à la littérature et à la philosophie. Ceux-là ont l’assurance qu’ils ne forment pas des techniciens de la médecine ou des officiers de santé, mais de vrais docteurs.
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EXERGUE : «Le talent réduit à une parfaite exécution technique est contraire à la pratique médicale. La culture scientifique ne s’acquiert pas que dans les manuels de médecine, voire même dans sa pratique. »
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