Je voudrais, en cette période post-Covid, qui a été, vous le savez, une fracture dans l’évolution de nos sociétés, donner une nouvelle particulièrement intéressante. Je suis maintenant un très vieux praticien à quelques mois de ma retraite et, depuis une trentaine d’années, en tout cas dans ma région du Grand Est, je suis l’évolution des problèmes de santé et des problèmes sociétaux…
J’ai donc particulièrement surveillé depuis 20 ans l’évolution du prix du coiffeur et du prix de la consultation médicale. Je viens maintenant de fréquenter deux fois mon coiffeur : une fois, juste après le confinement et il y a quelques jours. Et j’ai été quand même très surpris du tarif du coiffeur qui, alors que cet hiver pour une coupe masculine, demandait 20 €, est passé, juste après le confinement à 25 €. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un événement aigu poste confinement. Le tarif, il y a quelques jours, est bien resté à 25 €. Ce tarif de 25 € va évidemment avoir une résonance particulière auprès de tous les confrères, puisque c’est le prix de la consultation de médecine générale.
Depuis 20 ans, j’ai vu s'élever graduellement, régulièrement, le prix de mon coiffeur. J’ai eu bien sûr depuis fort longtemps l’idée de comparer l’évolution dans le temps, des courbes du prix du coiffeur et du prix de la consultation médicale. Et je me suis bien évidemment demandé quand les courbes allaient se croiser. Voilà, nous y sommes, le coiffeur aujourd’hui a rejoint le prix de la consultation du médecin généraliste. J’imagine que ma région du Grand-Est est encore probablement très en retard sur les tarifs des grandes villes.
Je me suis demandé ce qui pouvait expliquer les 25 € du coiffeur. Montre en main, ma coupe a duré 16 minutes. J’imagine que c’est la durée moyenne d’une consultation aussi bien chez le médecin généraliste que chez le médecin spécialiste que je suis. J’ai trouvé l’affaire assez intrigante pour l’évoquer au coiffeur qui m’a laissé entendre que, à la différence du médecin, son travail était fatigant. Je devais bien admettre qu’il m’a coiffé debout et que, pour ce qui me concerne, je consulte assis, tout en allant chercher le dossier de mon patient au secrétariat, ce qui fait une quinzaine de mètres ; et que je récupère le patient à mon retour de secrétariat pour regagner mon bureau. Je fais debout mes endoscopies et en général cinq heures d’affilée. Je commence à 7 h 30 du matin et je finis à 19 heures le soir.
Lorsque j’ai fini mon travail, j’ai la lourde charge de gérer les dossiers des patients. Et lorsque la journée de consultation est chargée, comme vous le savez, je suis amené à faire le soir chez moi, assis bien sûr, les courriers que je n’aurais pas dicté dans la journée. Ces courriers sont tapés sur une plate-forme et lorsqu’ils sont disponibles, je suis amené bien évidemment à les recorriger avant que mon secrétariat ne les imprime. Je n’ai pas besoin de vous expliquer que je suis le dépositaire du dossier du patient censé le gérer à long terme, avec la responsabilité qui m’incombe et la responsabilité civile qui est engagée au tarif que vous connaissez et qui est peut-être un peu plus important dans ma spécialité de gastro-entérologie qu’en médecine générale.
Cher confrère, messieurs les responsables politiques, vous me voyez bien perplexe aujourd’hui puisqu’aujourd’hui mon coiffeur demande le même prix que le médecin généraliste parce qu’il est fatigué à la fin de sa journée… Il se pose - et cette période de pandémie a été particulièrement propice à mener ce type de réflexion - de tâcher de comprendre ce qu’est, et ce que va devenir la valorisation d’un travail effectué. Il y a des tâches capitales et indispensables qui ne peuvent pas ne pas être effectuées. Tout le monde a compris que les boulangers, les éboueurs et d’autres professions et même les coiffeurs, nous sont si indispensables. Le coiffeur l'est sans doute, mais le médecin l'est également. N’aurions-nous pas le besoin urgent, impératif, qu’on rediscute de la valorisation du travail et de la hiérarchie des importances de notre métier, à la lumière de nos formations et leur durée, de notre formation continue, de nos engagements et de nos responsabilités. Pourquoi la main de l’État pèse-t-elle si lourd sur les tarifs des médecins et non sur ceux des coiffeurs ? C’est indiscutablement un « sujet qui fâche » le syndicaliste et le citoyen de notre pays. Bonne réflexion mes chers confrères, bonne réflexion, messieurs les responsables politiques.
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