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Dossier

Sémiologie

Covid-19, le casse-tête du diagnostic

Publié le 28/05/2020
Covid-19, le casse-tête du diagnostic

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okfoto - Mopic /stock.adobe.com

Face à la multitude de symptômes extrapulmonaires attribués à tort ou à raison au SARS-CoV-2, le diagnotic de la maladie peut parfois être une gageure. Alors que le mot d’ordre est au repérage large de tous les cas, l’enjeu est de ne pas passer à côté de formes atypiques sans pour autant attribuer tout symptôme au Covid-19. En soins primaires, peu de symptômes atypiques semblent finalement être très contributifs à eux seuls.

Le temps est loin où la classique triade « fièvre, toux, dyspnée » 
était considérée comme l’alpha et l’oméga des signes cliniques devant faire suspecter une infection à SARS-CoV-2. Manifestations ORL, digestives, dermato, cardio ou encore neurologiques : au fil des semaines et des publications, les signes extra-respiratoires potentiellement évocateurs de Covid-19 se sont multipliés. Mais tous n’ont pas le même intérêt diagnostique ni la même valeur pronostique, et pour certains le lien avec le coronavirus reste discuté.

L’anosmie, un symptôme inattendu mais fréquent

En France, les manifestations ORL ont été parmi les premières à mettre en avant l’existence de formes atypiques de la maladie. Ce sont surtout l’anosmie/hyposmie et/ou l’agueusie/dysgueusie qui ont attiré l’attention. Suite à l’observation d’une recrudescence des consultations pour ce motif, les ORL ont donné l’alerte dès le 20 mars, préconisant de considérer la survenue d’une anosmie brutale comme très suspecte de Covid-19, surtout si elle ne s’accompagne pas d’obstruction nasale et est associée à des troubles du goût.

Une étude européenne récente portant sur 1 420 patients de 18 centres hospitaliers européens a confirmé le phénomène, plaçant la perte de l’odorat (avec les céphalées) en tête des symptômes retrouvés parmi les patients atteints de formes légères ou modérées, avec une prévalence proche de 70 %. Les données recueillies dans la cohorte du Charles-de-Gaulle, portant sur 1 564 marins dont 1 064 cas confirmés de Covid, vont dans le même sens, même si la proportion d’anosmie (57,4 %) et d’agueusie (46,4 %) est un peu moindre.

Ces troubles peuvent survenir précocement, avant l’apparition des signes généraux. En l’absence d’obstacle mécanique, l’anosmie témoigne d’une atteinte neurologique au niveau du bulbe olfactif, comme on peut en observer après d’autres infections virales. Elle ne semble pas avoir de valeur pronostique en ce qui concerne la sévérité du Covid-19.

De façon générale, une symptomatologie ORL est retrouvée dans 70 à 80 % des cas, avec des douleurs pharyngées, des rhinites mais peu de rhinorrhées. « De façon surprenante, au niveau ORL comme au niveau pulmonaire, on constate moins de surinfections bactériennes qu’avec les autres infections virales, souligne le Pr Henri Partouche (professeur des universités, référent du DES de médecine générale, site Cochin). Une étude menée en ambulatoire met en évidence environ 30 % de surinfections ORL par d’autres virus, mais pas par des bactéries. »

Quand évoquer le Covid selon le HCSP ?

Selon un avis récent du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), en dehors des signes infectieux (fièvre, frissons) et des signes classiques d’infections respiratoires, les manifestations cliniques suivantes, de survenue brutale, constituent des éléments d’orientation diagnostique du Covid-19 :

> En population générale : asthénie inexpliquée ; 
myalgies inexpliquées ; 
céphalées en dehors d’une pathologie migraineuse connue ; 
 anosmie ou hyposmie sans rhinite associée ; 
agueusie ou dysgueusie. 


> Chez les enfants : tous les signes ci-dessus ; mais aussi altération de l’état général ; 
diarrhée ; 
fièvre isolée chez l’enfant de moins de 3 mois. 


> Chez les personnes de plus de 80 ans : altération de l’état général ; chutes répétées ; apparition ou aggravation de troubles cognitifs ; 
 syndrome confusionnel ; 
diarrhée ; décompensation d’une pathologie antérieure. 


> En situation d’urgence ou de réanimation : troubles du rythme cardiaque récents ; atteintes myocardiques aiguës ; 
évènement thromboembolique grave.

L’atteinte ophtalmique discutée

Qu’en est-il des atteintes ophtalmiques ? Selon une étude portant sur 38 patients publiée dans le JAMA, les conjonctivites seraient relativement fréquentes et associées à des formes plus sévères. Cependant, le virus a rarement été isolé dans les sécrétions lacrymales, et en dehors d’un cas clinique de kératoconjonctivite, les manifestations oculaires isolées sont exceptionnelles (et en tout cas bien moins fréquentes que les conjonctivites allergiques saisonnières) et n’ont pas suscité d’alerte de la part de la Société française d’ophtalmologie.

Lésions dermatologiques, beaucoup de bruit pour rien ? 

Sur le plan cutané, les pseudo-engelures ont défrayé la chronique sur les réseaux sociaux après le communiqué du Syndicat national des dermatologues–vénéréologues alertant sur le sujet. L’enquête Covidskin, lancée depuis par la Société française de dermatologie (SFD) pour documenter les manifestations cutanées susceptibles d’être associées au Covid-19, tend à relativiser sinon leur lien avec le SARS-CoV-2, du moins leur intérêt clinique. Si plus de 300 cas ont été colligés, ces pseudo-engelures « ont peu de valeur diagnostique, dans la mesure où très peu d’entre elles étaient associées à une PCR positive », explique le Pr Marie Beylot-Barry, présidente de la SFD. S’il n’exclut pas complètement la possibilité d’un rapport avec le Covid, ce constat montre en tout cas qu’il ne s’agit pas d’un signe révélateur de l’infection. Le résultat des sérologies réalisées a posteriori, en cours d’analyse en vu d’une prochaine publication, devrait permettre d’y voir plus clair. Aucun cas n’ayant été décrit dans les formes sévères, ces symptômes ne semblent pas non plus avoir de valeur pronostique particulière. Dans ce contexte, « si la réalisation d’une PCR peut être justifiée en cas de pseudo-engelures associées à d’autres signes viraux, cela l’est moins chez un patient par ailleurs totalement asymptomatique »

En parallèle, d’autres manifestations dermatologiques très diverses ont été signalées dans la littérature. Une étude madrilène rétrospective a retrouvé des lésions distales à type de macules, papules et nodules, ou à type d'éruptions vésiculeuses, survenant quelques jours après les signes généraux, ainsi que quelques livedo transitoires. De même, le recueil français de la SFD égrène, chez une centaine de patients supplémentaires, tout un panel de signes dermatologiques à type d'urticaire, érythème diffus, exanthème maculopapuleux, livedo, etc. , plus volontiers associés à d’autres signes d’infection virale, avec une PCR positive chez certains patients testés. Mais le faible nombre de cas recensés et le caractère très polymorphe des lésions rapportées n’ont pas permis de faire émerger de signe cutané spécifique de Covid.

71 %   Selon plusieurs sources, l’apparition brutale des symptômes apparaît comme un bon élément d’orientation en faveur du Covid. D’après le réseau Sentinelles, en ambulatoire, une installation très rapide des symptômes est retrouvée dans plus des deux tiers des cas confirmés.

Des manifestations digestives trompeuses 

Les troubles digestifs, diarrhée et anorexie et à un moindre degré douleurs abdominales et vomissements, ne sont pas rares mais sans doute moins fréquents que ne le mentionnait une publication dans laquelle près de la moitié des patients Covid du Hubei présentaient des symptômes digestifs au premier plan. Ils ne semblent pas être associés à des formes plus sévères de Covid, si ce n’est que lorsqu’ils sont isolés, le diagnostic de Covid et l’hospitalisation sont retardés. Selon le réseau Sentinelles, la diarrhée concernerait 15 % des personnes vues en médecine générale et est généralement associée aux troubles respiratoires.

Des symptômes neurologiques plutôt signes de complication

La littérature décrit 36 % de signes neurologiques au cours de l’infection à SARS-CoV-2, un chiffre important mais qui inclut des signes bénins non spécifiques comme les céphalées ainsi que les troubles du goût et de l’odorat. Concernant les atteintes plus sévères, leur fréquence dépend des conditions de recueil des données, du stade de la maladie, etc., avec toujours la question sous-jacente de leur imputabilité et de leur mécanisme. Selon l’Observatoire national des manifestations neurologiques de Covid-19, les symptômes aspécifiques surviennent au début de la maladie, généralement en association aux autres signes de l’infection virale et sans valeur pronostique péjorative, les complications graves survenant secondairement. Parmi les atteintes sévères, le registre a notamment identifié des AVC dans 30 % des cas, des encéphalopathies (39 %), des encéphalites (8 %), des polyradiculonévrites aiguës (8 %). Les AVC sont d’origine ischémique dans 90 % des cas et les deux tiers surviennent chez des personnes ayant des antécédents ou des facteurs de risque vasculaires, même si dans un article du NEJM, les centres new-yorkais attiraient l’attention sur un nombre inhabituel d’AVC ischémiques précoces chez des patients de moins de 50 ans.

Ces manifestations neurologiques spécifiques et décalées surviennent généralement dans des formes sévères de Covid. Elles ne seraient pas liées à l’invasion virale, aucun passage du virus dans le SNC n’ayant été jusqu’ici observé, mais plutôt à la coagulopathie, aux anomalies hémodynamiques (hypotension, hypoxie) ou aux troubles de l’immunité.

Le casse-tête des douleurs thoraciques 

« Un certain nombre de patients se plaignent aussi de douleurs thoraciques, pour lesquelles on est un peu en difficulté, témoigne le Pr Partouche. Dans la cohorte du Charles-de-Gaules, elles concernent 13,3 % des malades. « Ces douleurs peuvent être liées à la pneumopathie ou à des manifestations d’angoisse devant d’autres symptômes faisant craindre un Covid, mais contexte épidémique ou non, notre démarche diagnostique doit rester identique et rechercher des signes faisant suspecter une embolie pulmonaire (EP) ou des lésions coronaires », insiste-t-il.

Une série chinoise a retrouvé pratiquement 20 % de souffrance myocardique au cours des infections à Covid, généralement au cours d’une détresse respiratoire, d’une insuffisance rénale aiguë, de troubles de la coagulation. Il est difficile de préciser le mécanisme de la souffrance myocardique : directe, par myocardite virale ou liée à l’orage cytokinique, ou indirecte liée à un syndrome coronaire aigu, à des complications respiratoires ou rénales. Les atteintes myocardiques peuvent se traduire par des troubles du rythme. Ces complications cardiaques surviennent dans la majorité chez les patients déjà hospitalisés pour Covid-19, mais les séries chinoises ont rapporté des cas de patients révélant l’infection par des troubles du rythme ou des douleurs thoraciques, ce qui amène à se poser la question d’une infection à SARS-CoV-2 dans le contexte actuel. Sur le plan biologique, la troponine est souvent élevée dans les infections à SARS-CoV-2, mais une forte augmentation peut témoigner d’une souffrance myocardique.

Plusieurs publications font aussi état d’un surcroît de maladies thromboemboliques veineuses (MTEV), à type d’EP et/ou de TVP chez les personnes hospitalisées pour formes graves de Covid-19, d’autant plus fréquent que l’infection est sévère, qu’il existe d’autres facteurs de risque de MTEV. En revanche, selon l’Internationnal Society on Thrombosis and Haemostasis, aucune MTEV n’aurait été rapportée chez des patients non hospitalisés. Une étude lilloise chez 109 patients admis en réanimation a retrouvé 20 % d’EP le plus souvent non secondaires à une TVP, ce qui suggère qu’elles seraient liées à la coagulopathie plus qu’à un mécanisme embolique.

Syndrômes pseudo-grippaux et signes généraux souvent au premier plan

Au total, en dehors de l’anosmie/agueusie, et de la diahrrée notamment dans ceratines populations, peu de signes extrapulmonaires spécifiques constituent un signe d’alerte de Covid. Et globalement, signes généraux et syndrome pseudo-grippal restent les plus révélateurs. Selon le réseau Sentinelles, la symptomatologie la plus classique en médecine générale est celle d’un syndrome pseudo-grippal, avec une fièvre souvent moyennement élevée, des myalgies, des céphalées, des maux de gorge, d’apparition généralement brutale. Une asthénie importante d’apparition brutale est assez fréquente. C’est la combinaison de plusieurs de ces symptômes, parfois associés à une anosmie ou une petite toux sèche, leur survenue rapide, la notion de contage qui doit amener à demander une PCR ou une sérologie de rattrapage. « Actuellement, du fait du grand nombre de personnes pauci-symptomatiques, c’est souvent en recherchant les contacts d’un patient qu’on retrouve a posteriori la notion d’un épisode pseudo-grippal », indique le Pr Partouche.

Si, dans le contexte actuel, il est important d'aller démasquer ces cas pauci-symptomatiques et les formes atypiques, a contrario, « nous devons nous méfier du biais d’ancrage cognitif qui risque de faire attribuer tout symptôme au SARS-CoV-2 ! », prévient le généraliste.

Des formes gériatriques particulières

Peu d’études sont disponibles sur la clinique du Covid-19 chez les personnes âgées. Dans cette population, la symptomatologie est volontiers atypique, avec selon une enquête française, des signes digestifs, des malaises, des chutes, un état confusionnel, la décompensation d’une pathologie antérieure survenant parfois sans fièvre et qui peuvent précéder les troubles respiratoires.


Dr Maia Bovard-Gouffrant et Bénédicte Gatin